Turin, pionnière en matière de diversité religieuse

Luca Bossi, sociologue des religions et des migrations / ©DR
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Luca Bossi, sociologue des religions et des migrations
©DR

Turin, pionnière en matière de diversité religieuse

Luca Bossi
Sociologue des religions et des migrations, Luca Bossi compare les systèmes de reconnaissance des communautés religieuses en Italie et dans le canton de Vaud.

Comment sont régulées les communautés religieuses en Italie?

Une soixantaine d’organisations sont reconnues par l’Etat, qui a la compétence en matière religieuse. Parmi elles, douze organisations confessionnelles ont signé un accord direct avec l’Etat, qui leur offre notamment l’accès à un financement public via l’impôt. Les vaudois du Piémont ont été les premiers à solliciter cette reconnaissance. Quarante-huit autres sont reconnues par une loi dite des «cultes admis», datant de la période fasciste. La majorité des «nouvelles» communautés, fondées et opérationnelles en Italie depuis des dizaines d’années, y compris celles nées des migrations, ne sont pas du tout reconnues. Ces multiples régimes juridiques aux critères de reconnaissance opaques génèrent de fortes disparités d’intégration des minorités…

Toutes les organisations religieuses ne disposent pas des mêmes ressources

Quelles raisons à cette discrimination de fait, quels effets?

Toutes les organisations religieuses ne disposent pas des mêmes ressources (finances, compétences juridiques, réseaux…). Certaines, notamment les associations issues de la migration, ne sont même pas informées qu’elles pourraient accéder à des subventions. Par ailleurs, les municipalités, qui sont les premières interlocutrices de ces communautés, peuvent agir de manière totalement discrétionnaire… Ou de manière très pragmatique et efficace! Le résultat, c’est que certaines communautés se réunissent dans des locaux industriels ou n’ont pas de cimetières dédiés. D’autres, comme les musulmans, sont bien mieux loties uniquement parce que l’Etat, soucieux de contrôle pour des raisons politiques, a une attitude volontariste à leur égard.

La situation turinoise se distingue dans ce panorama…

En 1848, Turin adopte une Constitution qui deviendra celle de toute l’Italie en 1861, garantissant les mêmes droits et libertés à chacun. La ville connaît une grande tradition catholique de politique sociale, issue du mouvement des salésiens. Elle a aussi accueilli de fortes migrations internes dès le XIXe siècle. La diversité et les droits des minorités y ont toujours été défendus par les autorités. Dès 2001, la municipalité a cherché à reconnaître symboliquement – mais pas juridiquement – les communautés musulmanes. Elle les a assistées dans diverses démarches. Ce cas rare a permis aux communautés de développer des services pour tous les Turinois, quelle que soit leur confession: services sociaux, sanitaires, culturels, médiation familiale… Cela bénéficie aujourd’hui à la ville. A Rome, à l’inverse, la municipalité ferme des mosquées de manière quasi arbitraire.

Pourquoi comparer les cas du canton de Vaud et de l’Italie?

Les critères vaudois de reconnaissance des cultes, adoptés en 2014, s’avèrent très similaires au cadre juridique italien, très contesté aujourd’hui par les organisations religieuses, y compris établies. Les vaudois du Piémont, par exemple, demandent une loi sur la liberté religieuse distincte de la reconnaissance juridique, qui dépend énormément du pouvoir de décision de l’Etat. Ma recherche, qui doit aboutir à de premières conclusions publiées dans la collection Passé Présent chez Seismo l’année prochaine, pose des questions de fond: comment assurer le même accès aux droits de liberté religieuse pour tous? Quels sont les outils nécessaires à nos démocraties pour éviter que l’inégalité juridique n’entraîne une discrimination politique des minorités religieuses? Ce qui est, de fait, déjà le cas.