«Vouloir sanctionner des endroits où il y a des voix critiques, c’est contre-productif»

Un consortium international participe à des fouilles sur le site de Megiddo. / ©iStock / Barbara Gabay
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Un consortium international participe à des fouilles sur le site de Megiddo.
©iStock / Barbara Gabay

«Vouloir sanctionner des endroits où il y a des voix critiques, c’est contre-productif»

INTERVIEW
Professeur de la chaire des milieux bibliques au Collège de France, Thomas Römer nourrit ses recherches sur l’Ancien Testament grâce à des fouilles archéologique dans le Levant. Il s’inquiète des appels au boycott académique des institutions israéliennes.

Thomas Römer

Professeur Thomas Römer en 2023. ©European Union, 2024 CC(by)

Spécialiste des condition de rédaction et de compilation de l’Ancien Testament

Lorsque vous étiez professeur à l’Université de Lausanne, vous aviez participé à une collaboration interdisciplinaire (sciences bibliques et archéologie) entre les universités de Lausanne, Zurich et Tel-Aviv. Vous avez même été désigné docteur honoris causa de cette dernière. Comment recevez-vous les appels exprimés dans les universités suisses pour un boycott des universités israéliennes?

THOMAS RÖMER Je trouve que c’est contre-productif de vouloir boycotter les universités israéliennes, surtout des universités très libérales comme Tel-Aviv, Haïfa ou Béer-Sheva. Parmi tous les collègues que je connais dans ces universités, aucun ne soutient la politique du gouvernement Netanyahou. Faire porter une critique à mon avis tout à fait justifiée à l’ensemble d’une communauté scientifique ça me semble quand même assez délicat. De manière générale, je pense qu’il ne faut pas identifier Israël ou les Israéliens et Israéliennes avec un gouvernement qui est horrible. Ce serait une sorte de punition collective pour des gens qui subissent eux aussi les agissements d’un incompétent.

Le problème c’est qu’on en arrive à identifier l’Israélien ou l’Israélienne comme quelqu’un qui s’oppose aux Palestiniens. On est dans la caricature et l’on oublie qu’il y a des manifestations tous les samedis contre Netanyahou. La société laïque, qui aspire à la liberté, se manifeste, elle n’est pas muette, elle ne laisse pas faire.

Benjamin Netanyahou a tout de même été élu. En Israël –comme en Europe d’ailleurs–, on a vu une progression des milieux conservateurs et nationalistes.

Vouloir sanctionner des endroits où il y a des voix critiques, des voix de la raison, je trouve que c’est totalement contre-productif! J’ai même entendu que l’on accusait les universités d’être complices d’un génocide. C’est délicat, voire carrément dangereux.

Évidemment, tout ce qui est lié à Israël est très complexe. Je suis d’accord aussi que certains milieux israéliens, surtout de la droite, utilisent le traumatisme européen de la Shoah chaque fois qu’on critique le gouvernement, pour dénoncer une forme d’antisémitisme. Raison de plus pour garder la tête froide!

Je pense que la meilleure manière de faire, c’est justement d’encourager une recherche historique et critique, aussi, parce qu’elle interroge certains arguments religieux dans les revendications territoriales, alors oui je suis particulièrement inquiet quand je vois qu’à l’Université de Lausanne, l’un des détonateurs des revendications a été un cours public sur les enjeux du conflit.

Le risque aussi, si les chercheurs historico-critiques se retirent c’est qu’ils laissent place à des personnes mues par la volonté de «prouver» certaines positions littéralistes bibliques.

La meilleure manière de faire, c’est justement d’encourager une recherche historique et critique.

Vous pouvez quand même entendre qu’Israël est aussi un pays qui consacre un budget croissant à la recherche militaire au détriment des recherches en sciences humaines.

Croissant, je ne sais pas. Le financement des sciences humaines est partout difficile, mais en Israël, il y a une certaine stabilité. L’excellence universitaire est quand même un peu une fierté du pays, et ils ont aussi une très bonne politique de recherche de fonds. Ils obtiennent beaucoup de financements extérieurs, notamment aux États-Unis. Par ailleurs, être professeur à l’Université en Israël, reste très valorisé. Alors, dire que tout l’argent va vers la recherche sur les armes, non, je ne crois pas.

Et de toute manière, vouloir sanctionner tout un pays, ça peut toujours avoir des effets de radicalisation alimentés par le sentiment que « tout le monde est contre nous ».

Vous craignez donc un renforcement des mouvements conservateurs ?

Parfois, je me dis que finalement le Hamas et Netanyahou s’entendent quelque part très bien. Les deux ont, en effet, tout intérêt à ce que le conflit continue, que l’on mette encore de l’huile sur le feu, que l’on alimente la haine réciproque.

On ne va pas faire la comptabilité des morts depuis 1948, des choses horribles ont été faites. Mais il ne faudrait pas que cela s’enracine dans le débat public en France ou en Suisse. Quand Mélenchon dit que le Hamas n’est pas un mouvement terroriste, mais une organisation de résistance, alors ça, ne devient pas seulement ridicule, mais aussi dangereux! Il faut quand même rappeler qu’Israël reste une démocratie, même si dans la démocratie on n’est jamais à l’abri des élections bizarres comme on peut les voir aussi aux États-Unis ou bientôt en France.

Et au niveau de la recherche, est-ce que la situation actuelle l’a mise à mal?

Le 7 octobre a vraiment été un choc national, après tout s’était arrêté un temps. Mais aujourd’hui, les institutions fonctionnent à nouveau. La question palestinienne avait peut-être été mise sous le tapis. Elle est revenue au centre des préoccupations. Faut-il deux États, un État avec deux parties? Avant cette question était moins prenante et l’on s’imaginait peut-être qu’avec le temps on trouverait une solution.

Plus spécifiquement dans vos spécialités? Est-ce qu’il y a des sites archéologiques à Gaza ou en Cisjordanie ?

Il y en a, mais les Israéliens n’y vont pas! Même avant le 7 octobre ça n’était pas envisageable. Ce sont des archéologues palestiniens avec des équipes françaises ou américaines qui se rende sur ces chantiers. Mon collègue Finkelstein rêverait de pouvoir aller notamment en Samarie. Un temps, j’imaginais même que si un Palestinien prenait la tête d’un chantier de fouilles, il pourrait collaborer, mais maintenant ce n’est plus le moment d’en parler.