La figure du pasteur décapée par la caméra de Lionel Baier

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La figure du pasteur décapée par la caméra de Lionel Baier

1 septembre 2000
En filmant son père pasteur, Lionel Baier ne fait aucune concession sur la crise d'identité que traverse un homme au service de l'institution, l'Eglise réformée vaudoise
Un regard lucide et cruel sur la disparition des idéologies. Un film à découvrir sur les écrans romands dès le 13 septembre. Photos disponibles à Ciné manufacture, tel 022/ 800.20.24 ou au 021/ 345.25.91"J'ai commencé ce film par tout ce qui nous séparait le plus: mon père sur la place d'armes de Bière, en tenue de capitaine, aumônier à l'armée." Cette figure autoritaire a longtemps fait peur à Lionel Baier: "enfant, j'ai été intimidé". Puis le jeune féru de cinéma s'est révolté. Après une séparation de huit ans, Lionel Baier retrouve le pasteur Hugo Baier pour ce face à face. "A 53 ans, mon père s'est arrondi, il s'est transformé en vieux monsieur, dans la tourmente d'une crise professionnelle qui le contraint tel un simple fonctionnaire à rendre des comptes." Durant plus d'une année, Lionel Baier va filmer une chronique de toutes les activités d'un pasteur vaudois. Thés de paroisse, rallyes en forêt, mariages: la caméra légère promène un regard ironique sur un milieu bourgeois où la figure du pasteur domine le rituel dans des rapports très codifiés. "Mon père, c'est un peu le général Patton devant une armée de grands-mères" lance le jeune cinéaste. Il est vrai que ce pasteur, obstiné par ses valeurs et qui prône, face à la caméra, les mérites du chef, son aversion du communisme, apparaît soudain bien seul. Ses repères idéologiques se sont évanouis, les ennemis de hier sont devenus des anachronismes, il prêche dans le désert. Reste un homme continuellement en représentation, jouant son propre rôle, mais en proie au doute. La réalité qu'il n'a pas choisie, ce sont les mutations d'une société qui a fait de "Monsieur le pasteur" un parfait anonyme, tout juste admis pour le folklore. Exit l'arrogance de l'homme d'église, ses idéaux n'ont plus cours et c'est presque un constat d'échec. "Un échec qui me rassure, avoue le cinéaste, car je ne crois pas aux idéologies extrémistes, qu'elles soient de droite ou de gauche."

§Le film documentaire, un pari!Lionel Baier a travaillé avec Jacqueline Veuve - "Journal de Rivesaltes, 1941-42"- et cela se sent. C'est la même passion pour le film documentaire, pour la chronique au long cours. A la différence près que Lionel Baier est d'une autre génération, celle de la vidéo: "Je ne veux pas filmer avec une caméra neutre, transparente, j'aime mettre en évidence, donner une touche subjective". D'où un film à la première personne. Le documentaire, c'est pour le jeune cinéaste une "mise en scène de la vie, je filme ce que je n'aurai pas pu écrire dans un scénario, même si en définitive le documentaire se construit comme une fiction." Bref, une sorte de voie royale.

Mais franchement peut-on imaginer accrocher le public avec un film documentaire, alors que les contemporains de Lionel Baier sont nourris aux effets de "Matrix" et "Gladiator" ? Ces films-là, Lionel Baier ne les dénigre pas, il sait que le jeune public en tire une connaissance intuitive de l'image, du montage cinématographique, et cela c'est aussi le pari du film documentaire. Reste que le genre est confiné dans des festivals."J'aimerais bien que le décalage avec le public diminue, reconnaît l'auteur, il faudrait que les films documentaires dépassent le réseau des festivals et parviennent à sortir en salle". Pour l'instant, "Celui au pasteur" commence sa carrière sur les écrans lausannois, et en fonction du résultat il continuera sur sa lancée dans les cinémas de Suisse romande. Côté festival, l'agenda est plus fourni : Marseille, Amsterdam, Namur et les Etats Unis.