Genève: une exposition itinérante confronte science et foi

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Genève: une exposition itinérante confronte science et foi

29 décembre 2000
Le débat entre science et religion sur les origines du monde est au centre d'une exposition itinérante présentée dans les établissements scolaires secondaires du canton de Genève
Intitulée "Qui suis-je?" et organisée par l'Aumônerie protestante dans les écoles en collaboration avec un théologien catholique et des représentants d’autres religions, l'exposition montre que les conceptions bibliques et scientifiques des origines de l'humanité ne s'excluent pas, et que la science n'est pas dénuée d'éléments mythique et religieux. Cheville ouvrière du projet, Roland Benz a enseigné la physique pendant 25 ans au Collège de Genève avant de devenir pasteur. Interview.

L'exposition sera inaugurée le lundi 17 janvier 2001 au Collège André Chavanne.§"Science et foi", c'est implicitement le thème de l'exposition. Vous-même incarnez cette double appartenance à des univers considérés parfois comme incompatibles.Il est vrai qu'être scientifique et croyant continue d'étonner. Un élève m'a dit un jour: "Il paraît que vous êtes croyant, ce n'est pas possible. On ne peut plus croire à ces vieilles histoires en étant scientifique". Quand j'enseignais, une bonne partie de mes élèves pensaient que les sciences contredisent la Bible. Comme scientifiques en herbe, ils trouvaient la manière symbolique qu'a la Bible de raconter la création du monde désuète ou sans intérêt.

§A travers cette exposition, cherchez-vous à pallier une certaine méconnaissance de ce que sont réellement la science et la Bible?Nous cherchons à provoquer un dialogue entre disciplines ainsi qu'à dissiper certains malentendus. Science et foi sont deux choses bien différentes. Les confronter l'une à l'autre en se demandant laquelle est le plus vraie, c'est se planter à coup sûr. Cela revient à comparer deux choses qui ne sont pas comparables. Prenons l'exemple de l’anneau que je porte au doigt. D’un point de vue scientifique, on le décrira comme un alliage d'or et de cuivre pesant x grammes et ayant telle dimension, alors que sur le plan des relations humaines, il sera justement le symbole d’une alliance. Lequel de ces deux discours est-il le plus vrai ? Les deux sont vrais, mais ils appartiennent à des registres différents du langage qu'il convient de distinguer.

§Science et foi offrent donc une approche différente de l'événement ?Oui. Prenons un exemple qui nous concerne tous: la naissance d'un enfant, est décrit par la biologie comme le résultat de la rencontre d’un spermatozoïde et d’une ovule, etc. ; en termes religieux, ou même psychologiques, on dira qu’il est le fruit d'une relation d'amour entre le père et la mère. Il est erroné de vouloir choisir. L'une et l'autre explications sont correctes. De la même manière, on peut dire que le monde est création de Dieu, quelle que soit la façon dont le monde s’est formé. Ainsi, la théorie du Big Bang n’exclut nullement que le monde soit le fruit de l’amour de Dieu.

§Cette fameuse théorie du Big Bang ne contredirait donc pas le récit biblique de la Genèse ?Pas du tout. Le Big Bang est une théorie scientifique – solide mais pas définitivement établie - qui décrit la façon dont le monde s’est construit, alors que la Bible parle de l'auteur du monde et de son projet pour l’humanité. Il n'y pas de contradiction entre elles. On pourrait dire, de façon rapide, que l'une décrit le "comment", l'autre le “ qui ” et le “ pourquoi ”. Elles se situent tout simplement sur des niveaux de langage différents. Dans cette optique, rien ne m'empêche de penser que le Big Bang fut l'œuvre de Dieu, même si je me garderai bien d’utiliser Dieu comme explication dans cette théorie. De plus, la science n'a pas le pouvoir de confirmer ou d'infirmer l'existence de Dieu. Le monde n’est pas Dieu, mais son œuvre. Dieu est, si l’on peut dire, autre que le monde, ou “ hors ” du monde. Il est donc impossible à l'homme de le trouver dans un coin de l'Univers grâce à des recherches scientifiques ou d’en demander une preuve comme si Dieu pouvait se soumettre à nos critères, tel un objet d’étude.

§Pourtant, la science à démontré que le monde ne s'est pas fait en 6 jours il y a 6000 ans comme l'affirme la Bible.La Bible ne doit pas toujours être prise au pied de la lettre. Elle utilise souvent un langage symbolique pour donner sens aux événements. Revenons aux 6 jours créateurs du début de la Bible. Il est assez clair que l’auteur du récit prend comme cadre temporel celui de la semaine que vit le juif : six jours de travail et le septième, c’est le sabbat, jour d’arrêt pour célébrer Dieu. L’auteur raconte donc le travail créateur de Dieu dans le cadre littéraire des jours de la semaine, sans signification de durée.

§Science et foi s'influencent-elles mutuellement? Oui, d'une certaine manière. L'invention scientifique repose autant sur l'imaginaire que sur l'observation rigoureuse de la réalité. Lisez les témoignages de grands scientifiques. Beaucoup disent que leurs idées leur sont venues d'ailleurs, d'un conte, de la philosophie, d'un opéra. Dans cette perspective, la religion qui offre une approche mythique du monde a sûrement, plus d'une fois, mis en route l'imaginaire des chercheurs. D'autre part, les valeurs judéo-chrétiennes d'honnêteté, de rationalité, de confiance et d'exigence ont favorisé le développement des sciences. Souvenons-nous aussi que les récits bibliques ne divinisent jamais le soleil, la mer, etc., comme l’ont fait les mythes d’origine. Tout est objet de création et donc offert à la connaissance scientifique. En retour, l'application de la démarche scientifique au texte biblique nous a appris des choses passionnantes sur le plan archéologique, linguistique et exégétique.

§Y-a-t-il du religieux dans la science?Je dirais que les scientifiques sont faits de la même pâte que le reste de l'humanité. Qu'ils le veuillent ou non, ils leur arrivent d'avoir une tournure d'esprit religieuse. Je me souviens d'un discours du directeur du CERN sur la nécessité de construire un accélérateur d’électrons, malgré le coût gigantesque de cet appareil. Il disait que cela permettrait peut-être de connaître les rapports entre l’esprit et la matière et aux scientifiques du monde entier de se rencontrer dans le cadre d'une communauté fraternelle dédiée à l'échange désintéressé des connaissances. Sans s'en rendre compte, il présentait le CERN comme une nouvelle église où les scientifiques vivraient en communion grâce à la science.

§Pensez-vous que la religion bénéficie des découvertes scientifiques? Oui. Comme croyant, je regarde les sciences comme une chose belle. Elles nous permettent de mieux communiquer, prévoir et agir. En somme, de mieux habiter la planète. D'ailleurs, dans la tradition biblique, le sage n'est-il pas invité à connaître le monde et à en user avec bonheur ? Toutefois, elles peuvent être mises au service de puissances perverses de destruction ou plus sournoisement conduire à une exploitation abusive qui dégrade à long terme l’environnement.

§Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux§