Le "Notre Père" met en question notre monde consumériste

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Le "Notre Père" met en question notre monde consumériste

3 avril 2001
Prière universellement connue, le "Notre Père" court le danger de devenir une litanie sans âme à force d'être récitée machinalement
C'est la thèse développée par Jean Zumstein dans son dernier ouvrage, "Notre Père: la prière de Jésus au cœur de notre vie", où le théologien suisse en revisite le sens profond et l'actualité. Interview.

Photo noir/blanc de Jean Zumstein disponible à Protestinfo

§Vous dites dans votre livre que Le "Notre Père est ce qui reste quand on a tout oublié de la foi.Oui. J'ai constaté que les gens ayant reçu un catéchisme doctrinal avaient tout oublié à l'exception du "Notre Père" et de quelques récits bibliques. C’est d’ailleurs une chance que le "Notre Père" s'imprime de façon durable dans les mémoires puisqu'il restitue l'essentiel du message de Jésus. En peu de mots, on y trouve tout ce que Jésus veut transmettre.

§Mais le Notre Père est-il encore vraiment compris? Non. Je pense qu'on ne prête plus attention au sens des formules. Il est le plus souvent récité machinalement, à l'image d'une obligation religieuse que l'on accomplit et qui aurait le pouvoir de nous mettre en ordre avec Dieu. C'est le destin de tous les textes employés régulièrement dans des célébrations ou à titre individuel. A force de répétition, ils ne sont plus habités, leur sens s'est usé.

§Faut-il s'en étonner? Des formules telles que "Que ton nom soit sanctifié, Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel" semblent faire bien peu de cas de la liberté individuelle?C'est une erreur. Il n'est pas question de sacrifier sa liberté pour se mettre au service d'un plan divin incompréhensible. "Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel" signifie que l'homme reconnaît l'existence d'une volonté supérieure à la sienne, mais d’une volonté dont le seul objectif est le bien de la création et de tous ses acteurs. Cela permet de limiter les désirs individualistes et égoïstes qui empêchent d'accéder à la plénitude de la vie. A notre époque, affirmer que la source authentique de la vie ne se trouve pas nécessairement dans la renommée, l’argent et le pouvoir, me paraît particulièrement pertinent.

§Une critique de la société de consommation, en quelque sorte ?On peut le voir ainsi.Indiscutablement,le "Notre Père" met en question notre monde consumériste en nommant les besoins fondamentaux de l'être humain. De quoi avons-nous besoin? De pain – "Donne-nous notre pain de ce jour" -, d'être pardonné - "Pardonne-nous nos offenses" - et de ne pas être détruit par le mal qui infeste notre monde – "Ne nous soumets pas à la tentation,…" -. Les autres besoins sont seconds. D'autre part, la prière parle de "Notre pain". Non de "son pain" ou de "mon pain". C'est-à-dire que le pain doit être partagé avec les autres membres de la communauté et qu'il est là pour le bien de tous.Tout le contraire des temps que nous vivons où chacun produit son pain pour son propre compte et souvent au détriment des autres.

§Est-ce important que la prière utilise le "Notre" et le "nous"?C'est fondamental. En disant "Notre Père", "Notre pain", "pardonne-nous", on ne prie pas pour son bénéfice personnel, ou celui d'un peuple élu, mais pour l'entier de la création. Du coup, il n'y a pas d'objectif plus pressant que de s'efforcer d'avoir des relation harmonieuses avec son environnement et de rétablir les relations interrompues en raison de conflits. Et quand une relation est brisée, le "Notre Père" invite au pardon: "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés".

§Pardonner, n'est-ce pas un peu simpliste?Non. Le pardon divin que sollicite le Notre Père ne vise pas à effacer les fautes d'un coup de baguette magique ou à pardonner quelque méchanceté, mais bien à guérir les grandes séquelles de l'existence: la culpabilité, les échecs, le doute, la trahison qui rongent la vie et détruisent les relations sociales. Par son pardon - "pardonne-nous nos offenses (…) - , Dieu offre la possibilité de se libérer de ce poids. Une fois qu'on a reçu de Dieu ce pardon libérateur, on est ensuite apte à pardonner ses semblables et permettre ainsi à la vie de renaître.

§"Que ton règne vienne". Mais quelle sera la place de l'homme dans ce règne?Il ne faudrait pas se représenter une théocratie où les hommes seraient les marionnettes de Dieu. Le Règne est déjà là. Il est advenu dans la vie, la mort et la résurrection du Christ et il se manifeste sous des formes surprenantes et paradoxales, notamment dans la faiblesse et l'échec. La conviction du "Notre Père" est que le Règne de Dieu est une libération et qu'il aura le dernier mot sur le mal.

§Devant l'état du monde, on peut en douter.C'est la critique faite constamment au christianisme: si Dieu était Dieu, il n'y aurait pas eu Auschwitz. En invoquant Dieu de nous délivrer du mal, le "Notre Père" rend compte de l'ampleur de la négativité circulant dans le monde et du fait que le mal ne se réduit pas à une simple faiblesse individuelle, mais représente une force échappant à tout contrôle et détruisant l'homme.

Je crois que les chrétiens ont beaucoup de chance de disposer d'une telle prière qui décrit la réalité telle qu'elle est, nomme les problèmes qui affectent la vie humaine, rappelle à l'homme qu'il appartient à une communauté, nomme ses besoins, et l'invite à découvrir le plan de son Créateur.

§Notre Père: La prière de Jésus au cœur de notre vie, Jean Zumstein, Editions du Moulin, Poliez-le-Grand, 2001

A lire aussi: Notre Père…, Roland de Pury, les bergers et les mages, Paris, 2000