Le protestantisme et les paresseux: un ménage impossible

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Le protestantisme et les paresseux: un ménage impossible

20 avril 2001
En intitulant son essai « Le protestantisme et les paresseux », la théologienne française Liliane Crété a choisi d’intriguer
S’il est deux termes qui ne font pas bon ménage, ce sont bien ceux-là. Diabolisée par Luther et Calvin, l’oisiveté fut vigoureusement combattue et le travail décrété sacro-saint. De paresse, l’auteure nous entretient donc peu dans son petit historique de l’éthique protestante du travail qui, portée à son comble, déboucha sur le capitalisme. On découvre par contre comment la prédication de la grâce a tourné à l’absurde et abouti à l’angoisse du vide de notre société qui a transformé le repos du sabbat en loisirs forcenés.L’éthique du travail est sans conteste une spécificité de l’expression morale protestante. Un bon protestant est travailleur, consciencieux et responsable. A l’origine de cette éducation qui a corseté des générations de croyants, la position de Luther sur la vocation, - entendez par là tâche ou travail au service des autres – assortie d’une dénonciation virulente de l’oisiveté.

§Commandement divin La doctrine du travail fut reprise par Calvin qui avait très rapidement mesuré à quels paradoxes menait la justification par la grâce proclamée par Luther: si le chrétien ne doit pas se soucier de son salut, pourquoi travaillerait-il ? L’éthique du travail fut donc proposée comme réponse au salut gratuit pour empêcher le croyant de se laisser aller au libertinage et à l’indolence. Les protestants furent exhortés à travailler dur afin de prouver leur foi. Travailler devint un commandement divin pour les Réformateurs. « Ne pas vouloir travailler, écrivit Calvin, c’est tenter l’Eternel et essayer outre mesure la puissance de Dieu ». Les paresseux furent mis au ban de la société et la mendicité fut interdite dans les villes passées à la Réforme.

§Les excès des puritains Les vertus du travail furent reprises et radicalisées par les penseurs puritains immigrés en Nouvelle Angleterre, qui contribuèrent largement au développement du capitalisme. Ils combattirent tout désordre social par le travail et valorisèrent la frugalité.

Mus par un formidable esprit d’entreprise et d’autonomie et un sens aigu des responsabilités, ces puritains se transformèrent peu à peu en « yankees » pour qui la réussite professionnelle et la poursuite du bonheur devinrent un but en soi.

Au 18e siècle, Benjamin Franklin , à qu’on doit le célèbre adage «Le temps, c’est de l’argent », marqua le tournant. Par ces mots, il voulait signifier que le temps appartient à Dieu et qu’il ne faut pas le gaspiller. Le travail devint la substance vitale de la société bourgeoise. Il n’était plus un antidote à la paresse, ni l’expiation pour le péché d’Adam. Il donna peu à peu sens à la vie et devint une valeur en soi.

§Nietzsche et Ellul, prophètes à leur manièreLiliane Crété passe comme chat sur braise sur les travaux de Hegel et Marx sur le travail pour s’arrêter sur les propos de Nietzsche, fils de pasteur révolté, qui fut en total désaccord avec son temps en affirmant que le travail est un fardeau et l’oisiveté une vertu nécessaire à la vie réellement religieuse. Il fustigea l’acharnement effréné au travail et la rage d’amusement qui lui apparaissaient comme deux aspects d’un même état de choses. En dénonçant la notion de performance qui a aujourd’hui tout envahi en Occident, le philosophe s’était montré prophète.

En 1980 Jacques Ellul, protestant fait figure de prophète lui aussi en dénonçant les adorateurs du travail et de leurs œuvres que sont devenus les hommes. Il notait qu’aucune autre société avant la nôtre n’avait été autant vouée au travail et qu’en même temps cette société d’abondance était devenue créatrice de pénurie par épuisement des ressources et des richesses qui ont été confiées à l’homme.

Et les paresseux dans tout cela ? Liliane Crété en cite un seul, Rousseau, d’origine protestante, qui osa avouer sa paresse. En toute fin d'ouvrage, l’auteur consacre quelques modestes pages à la réhabilitation du sabbat et du repos. Pas de quoi se vautrer !

§Liliane Crété, Le protestantisme et les paresseux. Ed. Labor & Fides, avril 2001, 158 pages.