Leçon d’adieu de Roland Campiche à L’Université de Lausanne:"Le religieux a changé mais ne s'est pas perdu !"

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Leçon d’adieu de Roland Campiche à L’Université de Lausanne:"Le religieux a changé mais ne s'est pas perdu !"

18 mai 2001
A l’ère du bricolage spirituel, de la fragilité familiale et du sens du relatif qui caractérise notre société, la transmission de la tradition religieuse est-elle toujours possible ? Pour sa leçon d’adieu le 19 juin prochain à la Faculté de théologie de l’Université de Lausanne, après 31 ans d’enseignement de sociologie des religions, le professeur Roland Campiche a choisi de terminer sa carrière universitaire sur une note optimiste : pour lui, il n’y a pas de perte du religieux mais changement de la perception de la religion, utilisée aujourd’hui comme une ressource parmi d’autres pour aider à vivre
Interview de celui qui a fondé tout récemment l'Observatoire des religions en Suisse.Nommé professeur dans l’enthousiasme bouillonnant des années d’après mai 68, à la suite d’un cours expérimental qu’il avait donné sur la sociologie de la religion à l’Université de Lausanne et qui avait remporté l’adhésion des étudiants, Roland Campiche s’est attaché tout au long de sa carrière à déconstruire un certain nombre d’à priori. Le prêt-à-croire avait vécu, il s’agit pour le chercheur lausannois de prendre la mesure de tout ce qui a changé tant dans les pratiques religieuses que dans les interprétations de la religion. Cet état des lieux, qu'il avait amorcé avec sa thèse, "Urbanisation et vie religieuse" dans le quartier de Sévelin à Lausanne, il va le faire au sein de l’Institut d’éthique sociale de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) dont il est l’un des membres fondateurs avec Hans Ruh et Hans-Balz Peter.

Sa dernière création, l’Observatoire des religions, mis sur pied en 1999 pour mener des recherche au plan national et favoriser la connaissance et la compréhension du changement religieux, est un prolongement de ce travail de recherche et de réflexion qu'il a mené à l’Institut d’éthique sociale, né en 1971 de la prise de conscience par les Eglises de leurs responsabilités sociales et internationales. Elles réalisèrent qu’elles ne pouvaient plus se contenter de prôner une éthique personnelle mais qu’elles devaient s’impliquer dans des problèmes de société, de politique sociale, d’écologie, de gestion des énergies, d’aménagement du territoire, de relations nord-sud, mais aussi de problèmes de société comme l’égalité hommes-femmes, l’interruption de grossesse,etc. Les Eglises se devaient d'être présentes dans la cité et de faire entendre leur point de vue dans une perspective de justice sociale que Roland Campiche a toujours mise au centre de ses préoccupations.

§La religion relève-elle du privé, comme s'évertue à nous le faire entendre la conseillère fédérale Ruth Metzler?L’idée que la religion relève de la sphère privée est tout à fait discutable. L’individuation de la spiritualité, c’est-à-dire la prise de distance par rapport aux institutions religieuses et la construction spirituelle, devenue très individuelle, n’est pas synonyme de privatisation du religieux. Les normes de la société ont été modelées par des valeurs éthiques qui sont induites par des croyances. Il est évident que les formes de croire infléchissent la vie sociale. Quand un homme politique se prononce au sujet de l’interruption de grossesse, il le fait en fonction d’une certaine conception de la vie qui est la sienne. Notre société ne fait pas que fonctionner. Le sens précède toujours la fonction. Les implications sociales du religieux sont évidentes.

§ A l’heure du bricolage spirituel, la transmission d’une tradition religieuse est-elle possible ?Le processus de transmission s’est diversifié et enrichi. Il y a plusieurs types d’éducation qui induisent des types de transmission différents : l’éducation de type autoritaire cherche à inculquer la foi aux enfants ; l’éducation basée sur la négociation privilégie la discussion et tout, dans ce système éducatif, repose sur l’authenticité des relations et la valeur des comportements. On s’aperçoit que dans les milieux immigrés, ce sont souvent les enfants qui enseignent les parents, déstabilisés par la perte de leurs repères. On ne transmet plus aujourd’hui un héritage religieux comme un paquet tout d’une pièce, on transmet des savoirs, une conduite de vie.

§Cette transmission passe-t-elle d’une génération l’autre ? La formation des convictions religieuses se fait toujours en priorité par les parents ou les grands-parents dont le rôle social a changé, - souvent ils s’occupent de la garde des de leurs petits-enfants et sont très présents auprès d’eux -, mais aussi à la suite d’expériences personnelles et d’épreuves.

§Vous ne croyez pas à la perte du religieux ? Pas plus que je ne crois à l’analphabétisme religieux. Les gens savent beaucoup de choses sur les religions. Le problème est l’absence de fil rouge pour mettre ensemble tous les éléments épars dont ils disposent. Les gens utilisent la religion comme une ressource parmi d’autres. Je pense qu’il est nécessaire aujourd’hui de donner un enseignement sur les religions dans les écoles pour permettre aux jeunes de trouver ce fil rouge qui leur manque, et leur montrer les points communs à toutes les religions, comme l’éthique, la prière, les rites, le calendrier des fêtes, par exemple. On passe actuellement d’un enseignement de la religion à un enseignement sur les religions et cela me paraît plus adéquat.