Henry Mottu à l'heure de la retraite: "Ce que je ne comprends pas me passionne"

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Henry Mottu à l'heure de la retraite: "Ce que je ne comprends pas me passionne"

26 juin 2004
Les murs du bureau d’Henry Mottu parlent. Des illustrations de Karl Barth, Martin Luther King, Dietrich Bonhoeffer et du Christ lavant les pieds de ses disciples résument son parcours théologique
Il aime s’entourer de personnalités fortes. Connu pour sa traduction et son interprétation de l’œuvre de Dietrich Bonhoeffer, le professeur genevois a hérité de ses mentors un goût prononcé pour la confrontation. Portrait de l’homme qui dribble avec les mots à l’heure où il prend sa retraite.Une seule photographie manque au mur, celle de Philippe Gilliéron, le premier mentor qui a initié Henry Mottu à la théologie. Adolescent, il suit assidûment les cours facultatifs de religion dispensés par celui qu’il surnomme, avec ses camarades, « Chignon ». Disciple de Karl Barth, le pasteur genevois lui transmet cette passion qui ne le quittera jamais. Collégien, Henri Mottu confronte la pensée biblique et la pensée grecque. Une soif du débat qui le pousse à suivre précocement les cours de philosophie à l’Université de Genève. « A 16 ans, je ruais dans les brancards ». Les joutes oratoires qu’il affectionne aiguisent son intérêt de mieux comprendre le monde. Pour sa formation académique, l’Université de Bâle où Karl Barth enseigne, s’impose naturellement. Fils d’une vieille famille protestante genevoise - un grand-père modérateur de la Compagnie des pasteurs , Henry Mottu tourne le dos à Genève pour foncer chez Barth. Adepte de l’échange verbal, il préfère les colloques en français chez le maître, aux cours qu’il juge plutôt casse-pied. Les opinions politiques et sociologiques se mêlent aux débats théologiques. A la maison des étudiants, il côtoie des universitaires venus des quatre coins du monde. L’effervescence de la vie communautaire le stimule pour poursuivre le débat et faire la fête. Une théologie tout terrainDe retour à Genève, après un séjour de deux ans à Paris pour préparer sa thèse, il occupe le premier poste d’assistant créé à la Faculté de théologie. Après avoir quitté l’enseignement de Karl Barth, il retrouve celui de Jacques de Senarclens, alors doyen de la Faculté de théologie. L’esprit contestataire de mai 68 souffle sur l’Université. Il se bat pour la liberté d’expression sans pour autant se mettre en avant. Il encourage chacun à s’exprimer sur le religieux. Jeune marié et père de famille, il tempère ses élans. Vieille tradition genevoise, l’œcuménisme est aussi son cheval de bataille. La définition d’Henry Mottu englobe catholiques, protestants, orthodoxes et évangéliques. Codirecteur de l’Atelier œcuménique de théologie (AOT) en 1982, il veut restituer la théologie au peuple de Dieu. Si aujourd’hui, cette vision va de soi, au début des années quatre-vingt, elle suscitait la polémique. Le frisson américainL’appel du grand large conduit Henry Mottu et sa jeune famille aux Etats-Unis. Poussé par l’enthousiasme de sa femme Liliane, il part en 1970 enseigner à « l’Union Theological Seminary » de New-York. Il s’initie en quelques semaines à la langue de Shakespeare. La société américaine est en pleine effervescence: la guerre du Vietnam, Joan Baez, l’Amérique contestataire. « Une grande époque ! ». Il enseigne la théologie de la libération, inspiré par Jürgen Moltmann ou Gustavo Gutiérrez. Il fraternise avec le philosophe et écrivain français, Paul Ricoeur, qui est à Chicago. Il découvre la « black theology » par l’entremise du théologien noir américain, James Cone. « A cette période, ce simple mot était dingue ». Il profite de cette nouvelle occasion pour affûter son arme préférée: le dialogue. « Ce que je ne comprends pas me passionne, par contre ce que je comprends m’ennuie ».Le contestataire devient prof d'universitéIronie du sort, celui qui avait chahuté le corps enseignant, accepte en 1988, une chaire de professeur de théologie pratique à l’Université de Genève. Il renoue avec ses amours de jeunesse et part sur les traces du théologien allemand Dietrich Bonhoeffer, opposé au régime nazi et pendu en 1945. Pourquoi cet engouement tardif? « Le fruit était mûr ». Les expériences à Bâle, New-York et à l’AOT lui ont permis d’aborder les écrits du résistant. L’œuvre du pasteur allemand l’accompagne dans son aventure académique. Bonhoeffer est un phare qui l’aide à ne pas désespérer quand les pesanteurs de l’institution universitaire font tanguer son embarcation. Ses positions claires et tranchées ne laissent pas indifférent. Editer l'oeuvre complète de BonhoefferIl est depuis peu à la retraite. Il avoue n’avoir aucun plan précis pour cette nouvelle étape. Il regrettera la présence de ses étudiants qu’il juge stimulante. Rapidement, il évoque le projet de traduire et d’éditer en français l’œuvre complète de Dietrich Bonhoeffer. « J’ai besoin d’ordre. Je trouve triste que les traductions du théologien soient disséminées ». Envisage-t-il une carrière politique ? L’idée ne le séduit pas même s’il a choisi la gauche « parce que son Dieu s’adresse aux plus démunis ». La « périchorèse » – le lien mutuel des personnes de la Trinité – définit sa vision de Dieu. « C’est le ciment qui permet l’échange avec Lui et les autres ». Henry Mottu agit loin des lumières de la scène. Amateur de football, en bon meneur de jeu, il préfère travailler ses centres pour permettre aux autres de marquer des buts.