"Le théâtre est un vieux plaisir"

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"Le théâtre est un vieux plaisir"

20 juillet 2009
Jean Chollet Pasteur et metteur en scène, il est aussi le fondateur de la Compagnie de la Marelle, à Lausanne.

Comment se partager entre théologie et métier d'acteur ? Être pasteur et metteur en scène de théâtre ? Pour Jean Chollet, la réponse est simple : il n'y a qu'une seule foi, la même pour toutes les passions de notre vie. Vie d'ailleurs bien remplie, depuis l'entrée au Conservatoire d'art dramatique de Paris, dans la classe de Michel Bouquet, il y a quelque trente ans, jusqu'à aujourd'hui, en passant par la direction de deux théâtres, dont celui du Jorat et la réalisation d'émissions dramatiques à la Radio Suisse Romande.

C'est finalement à Lausanne qu'il s'est posé, créant la Compagnie théâtrale de la Marelle, actuellement en tournée grâce aux humoristiques Fourberies de Calvin et, plus récemment, l'Espace culturel des Terreaux, dans un ancien temple aménagé en salle de spectacle. « Les Terreaux sont un espace culturel comme un autre, dit Jean Chollet, on y fait du théâtre, on y entend des concerts, des conférences, on y présente des expositions, on y organise des ateliers. »

Mais avec un « plus » qui le rend tout de même un peu différent : « L'humain est en première ligne dans notre programmation. Dans la mesure du possible, nous choisissons des textes contemporains qui donnent une véritable place à la dimension spirituelle, éthique ou sociale. »

Ce choix, on le retrouve dans l'esprit des manifestations artistiques qui se déroulent en Avignon, pendant toute la durée du festival, au temple Saint-Martial. Il y a trois ans, en effet, Jean Chollet a proposé au conseil presbytéral d'optimiser ses deux salles, l'une à l'étage, l'autre au rez-de-chaussée. Bien situé, en plein centre-ville et juste à côté de l'office du tourisme, cet espace voit maintenant se dérouler en juillet 12 spectacles par jour. Véritable défi dans une jungle estivale où il est si difficile de s'imposer.

La course aux financements

Depuis 2007, la programmation de l'Espace Saint-Martial fait officiellement partie du Festival off. Pour cela, il a fallu se battre, témoigner que l'orientation générale des activités n'était ni du racolage ni du prosélytisme, mais au contraire marquée par l'esprit d'ouverture. Cette année cependant, Jean Chollet ne sera ni acteur ni metteur en scène, la mise en oeuvre de la promotion indispensable l'accaparant avec ses contingences, contacts avec les radios locales, partenariats de tous ordres...

Si Avignon est un beau feu d'artifice, il reste ponctuel. Et il faut arriver à vivre du théâtre, durant toute l'année, au quotidien. Le problème en Suisse vient paradoxalement davantage d'une motivation croissante que d'une chute d'intérêt. Ainsi, à Lausanne, le nombre des théâtres s'est multiplié par 4 ou 5. C'est un progrès considérable. Mais, dans le même temps, le nombre de compagnies, lui aussi, a décuplé.

Concurrence qui génère une course aux financements épuisante. « Chercher des financements est la moitié de mon travail, confie Jean Chollet. Et cela ne va pas changer ! Le théâtre est une industrie particulière qui revend ses produits moins cher qu'elle ne les achète. » Peut-on en déduire qu'il y a danger de mort pour le théâtre ? Il n'y croit pas : « Le théâtre est un vieux plaisir. C'est vrai qu'il est lent par rapport au cinéma, à la radio, la télé. Mais il offre cette chance d'un contact direct irremplaçable. »

Un formidable défi

Jean Chollet fait actuellement un stage pastoral à mi-temps à Vevey. L'occasion pour lui de reconsidérer le lien qui soude ses deux engagements. « En France comme en Suisse, et partout en Europe, il y a trop de lieux de culte par rapport à l'utilisation, confie-t-il. Se pose la question de savoir comment les habiter autrement. Leur donner une affectation différente apporte beaucoup d'éléments de réflexion intéressants.

Il n'y a pas de raison en soi que le culte parle à tout le monde ou soit la seule manière de partager des convictions. Par ces nouvelles affectations, on diversifie les langages. » Le langage théâtral apportant une dimension d'ordre émotionnel qui échappe parfois au culte réformé, même le plus clairvoyant, le plus compétent. « Je ne suis pas en train de dire qu'il faut remplacer l'intelligence et la réflexion par l'émotion, on sait dans quelles aberrations on peut tomber, précise Jean Chollet, mais conjuguer les deux, trouver l'équilibre. »

Acteur, pasteur ? Passer de l'un à l'autre, est-il si aisé ? Un acteur sert un texte, un metteur en scène mais, au fond de lui, il y a quand même toujours cette « peur au ventre », le jugement du public, de la critique. Le pastorat, plus serein sur ce point, a d'autres défauts.

Ainsi un fatalisme que Jean Chollet peut comprendre sans le partager : « Bien sûr, nous ne sommes pas nombreux. Mais cela ne signifie pas qu'il faille se contenter de ce qu'on a. Moi, je ne m'en contente pas. À une certaine époque, que vous prêchiez bien ou mal, le temple était plein. On pouvait se dire : “Je fais mon travail, tant pis si personne n'écoute !” Maintenant, c'est impossible. Et c'est un formidable défi. »

Se laisser interpeller

Un des efforts les plus urgents à fournir par les paroisses concerne le domaine de la communication, et il s'étonne de voir encore certains de ses collègues méconnaître les ressources prodiguées par l'Internet, quand les premiers réformateurs avaient su si bien exploiter, eux, la naissance de l'imprimerie.

Mais retournons à Avignon. Cette année, l'Espace Saint-Martial met l'interprétation biblique à l'honneur dans Yosef fort rêveur, et les grands anniversaires protestants avec La force d'aimer de Martin Luther King. Ne sont pas oubliés les conflits de la société contemporaine à travers ses témoins brisés, célèbres (Moi, Anna Politkovskaïa) ou obscurs (La Chienne dans les orties). L'interreligieux a également sa place dans La Rose et le Pavot, conjuguant yiddish et poésie judéo-arabe.

Enfin : la gratuité de l'imaginaire avec, entre autres, la création de À fleur de Poe (autre anniversaire), et l'apparition d'une « rap conteuse » : « Il faut essayer de se laisser interpeller par la nouveauté, ne pas se replier sur des valeurs sûres, commente Jean Chollet. Quand, dans les Églises, les institutions, on ramène l'art à la transmission de valeurs chrétiennes ou protestantes, c'est terrifiant. On sait pourtant que, dans l'histoire, le théâtre militant pur et dur n'a pas bien vieilli. » Lui veut faire du théâtre pour tous.

NOTE
1: cet article est publié avec l'accord de la rédaction en chef de l'hebdomadaire français protestant d'actualité "Réforme" numéro 3328

2: le festival de théâtre d'Avignon dure jusqu'au 29 juillet (6051 signes) (ProtestInfo/Martine Lecoq/Réforme)