Le souffle frais de deux organistes romands

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Le souffle frais de deux organistes romands

9 août 2010
L'orgue légendaire de Valère, SR

L'une est Valaisanne et catholique, l'autre Vaudois et protestant. Actifs dans leur canton respectif, Véronique Dubuis et Samuel Haury vibrent tous deux de la passion pour l'orgue, cet instrument millénaire. Portraits croisés.


«Pour jouer ici, il faut des petits doigts et maîtriser l'octave courte! » Et le courage d'y monter, pourrait-on ajouter. Avec ses collègues Jean-Jacques Gramm et Edmond Voeffray, Véronique Dubuis fait vivre le plus vieil orgue jouable au monde. Depuis 1435, l'instrument, plusieurs fois restauré depuis, trône dans l'église de Valère, sur les hauteurs de la capitale épiscopale du Valais.

Délaissé au milieu du XIXe siècle, le bijou gothique aurait alors pu disparaître. Mais en 1950, un Anglais de passage, le Professeur Badington Smith, s'en entiche et avance les fonds pour une restauration dans les règles de l'art qui prendra fin quatre ans plus tard. « Cette période de latence a sauvé l'orgue d'une rénovation qui aurait pu être désastreuse », note la professionnelle valaisanne, souvent engagée pour des mariages dans la basilique séculaire, très courus.

Un "Blockwerk" exceptionnel

Ce qui fait la spécificité de l’instrument, équipé depuis d’une soufflerie électrique ? Les quatre registres de base – l'étendue de l'échelle musicale de l'instrument – , exceptionnels, qui forment des sonorités aiguës et très agressives. « Au XVIe siècle, ces quatre registres sonnaient en « Blockwerk », explique Véronique Dubuis. C’est-à-dire un système où tous les jeux (ndlr: série de tuyaux) sonnent en même temps. »

Du coup, cette particularité ne fait pas du trésor musical de Valère un instrument d’accompagnement même si, plus tard, l’orgue a été doté de registres qui ont permis de faire entendre ces jeux séparément. « Tout au plus se risque-t-on à accompagner quelques instruments à cordes ou alors un chanteur avec une voix de Walkyrie », souffle la musicienne habilitée par les chanoines.

Car aujourd'hui encore, l'instrument est en mains du chapitre, pourtant descendu en ville à la fin du XIXe mais autrefois tout-puissant sur la colline. « Ca ne facilite pas l'organisation des visites proposées par le Musée de Valère et l'Office du tourisme », note celle qui est aussi titulaire depuis quinze ans du poste de la paroisse de langue allemande en ville de Sion, à Saint-Théodule.

Des collègues jaloux Véronique Dubuis, SR

Mais dans la Valais romand, un organiste est un passionné. Ses premières armes, Véronique Dubuis les fait sur l'orgue de la Cathédrale du chef-lieu, où son père était maître de chapelle. Au Conservatoire de Genève où elle entame des études, elle s'attire la jalousie de ses collègues issus des cantons protestants. « Pour eux, jouer sur un pareil instrument en début de formation n'était tout simplement pas envisageable. » Au sortir de celle-ci, la musique ancienne rattrape la Valaisanne. Valère et son orgue se rapprochent.

En réalité, elle y avait déjà amassé quelques souvenirs d'enfance quand elle accompagnait son père pour des occasions spéciales. « A l'époque, l'instrument était libre d'accès, se souvient la musicienne. Des copains m'avaient même juré avoir piqué deux tuyaux. » Elle n'a jamais trouvé lesquels.

Elle y croise alors Maurice Wenger, le maître des lieux. En 1969, le sacristain lance un festival d'orgues anciens sur l'instrument de Valère. A 83 ans, l'homme est toujours aux commandes de l'événement qui fête sa 41e édition cette année et accueille des musiciens de toute l'Europe (lire ci-dessous).

"On sort de l'âge de pierre"

Fidèle à Valère et cheville ouvrière de son festival, Jean-Jacques Gramm, 84 ans, dirige aujourd'hui le Musée suisse de l'orgue à Roche (lire ci-dessous). Exécutant, entre autres, pour la messe de l'Ascension, il occupe ce qu'il estime être « le poste le plus léger du diocèse ». Et reconnaît en Véronique Dubuis une collègue de longue date.

Compositrice, enseignante, elle se mouille pour la reconnaissance des multiples voies de formation des organistes. « En Valais, on sort tranquillement de l'âge de pierre! » sourit-elle.Car en terres catholiques, ce sont les paroisses qui gardent encore le dernier mot en termes de rémunérations des musiciens.

Et de citer le cas d'un de ses élèves qui voulait être salarié pour ses prestations de remplacement et à qui l'on a brandi une facture d'électricité. Valère a ses bons côtés.

Encore des concerts en août

  • Entamé le 10 juillet, le festival d'orgues anciens prend ses quartiers tous les samedis de l'été à Valère, jusqu'au 21 août, à 16h. Plus d'infos ici.
  • A Roche (VD), le Musée suisse de l'orgue propose également des concerts estivaux, jusqu'à fin août, les samedis à 17h. Plus d'infos ici.


Samuel Haury, un ingénieur musicien au coeur de la cité

Samuel Haury, SR L'orgue, un instrument d'Eglise poussiéreux? « Mes amis me provoquent souvent avec cette boutade », avoue calmement Samuel Haury. Mais la réplique de l'organiste vaudois de 23 ans ne tarde pas. « On a souvent installé cet instrument imposant dans les églises faute de place ailleurs! » glisse, malicieux, celui qui est resté pianiste, histoire de garder la main... à la maison.

« Samuel? Pas du genre à s'aplatir face à la difficulté d'une oeuvre», note celui qui fait vibrer les orgues de l'église Saint-François, au coeur de la ville, depuis 1975 et qui partira à la retraite en 2011.

Pour ce jeune musicien qui rêvait de « jouer avec les pieds et les mains », le répertoire de l'orgue dépasse donc celui de la musique religieuse: la patte de Jean-François Vaucher, son prof depuis cinq ans en classe non-professionnelle au Conservatoire de Lausanne.

Un style français et... alémanique

Son successeur est-il dès lors tout désigné? « Je n'ai pas le calibre, ni la formation, pour prétendre à un poste comme celui-là », avoue modestement le futur ingénieur en génie mécanique. Ou pas encore? Car le jeune homme ne cache pas son affection pour l'instrument historique (XVIIIe) du centre-ville - « un style français, mais de manufacture suisse alémanique! » -, où il continue de faire ses gammes sur cinq claviers qui pulsent l'air dans quelque 70 jeux (ndlr: séries de tuyaux).

Aujourd'hui, comme organiste remplaçant, le Lausannois arpente une poignée de paroisses réformées du canton pour ponctuer leurs célébrations et « soutenir les chants de l'assemblée ». Enfant, avec son père, Samuel aimait vivre le culte au Temple lausannois de Chailly. A condition d'être perché sur la galerie... de l'orgue.

Samuel Ramuz

Cet article a été publié dans :

Dans
l'hebdomadaire catholique Echo Magazine.