Malcolm X, héros dérangeant

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Malcolm X, héros dérangeant

Serge Molla
3 décembre 2010
Cela surprend toujours. Photographies, tags, peintures murales, poèmes ou raps à la gloire de Malcolm X se voient ou s’entendent régulièrement. Vu d’Europe, on s’attendrait plutôt à croiser la figure de Martin Luther King, alors que celle de Malcolm X le détrône souvent.


Et si l’on a associé Barak Obama à Martin Luther King. On a préféré laisser Malcolm X dans l’ombre. C’est que si le premier revêt presque figure de saint, le second a une iconographie plus sombre.

De son vivant déjà, et plus encore après sa mort, une part de la communauté blanche américaine l’a voulu ainsi. Pourtant à y regarder de plus près, Malcolm X ne se laisse pas réduire au cliché, bien  au contraire. Il suffit de relire ceci pour en être convaincu :
« J’ai osé rêver, quelquefois, que l’histoire irait jusqu’à dire que ma voix – qui a dérangé le Blanc dans sa suffisance, son arrogance, sa complaisance – que ma voix a contribué à éviter une grave catastrophe, une catastrophe fatale peut-être, pour l’Amérique… »

Une intervention révélatrice

Un jour de 1957 à New York, un Noir est sauvagement agressé par des policiers blancs. La colère gronde et l’implosion menace. Malcolm X intervient et réussit à disperser la foule prête à en découdre avec la police.

Il n’a rien cédé et n’en a pas appelé à la violence : « C’étaient le même pouvoir et la forte présence qui tout à la fois impressionnaient tant et faisaient peur à la police que ce qui m’attira et attira des milliers de jeunes Noirs à Malcolm », se souvient Benjamin Karim qui fut l’un de ses proches. Exemple d’un Malcolm rétablissant le calme, n’employant jamais les armes, alors que ses interventions orales avaient toujours le tranchant de la lame.

Certes, tout aurait pu conduire Malcolm Little, cet enfant né le 19 mai 1925, à rester le voyou qu’il fut à l’adolescence, après avoir perdu son père (assassiné par le Ku Klux Klan ?) et été placé, comme ses frères et sœurs dans une famille d’accueil. Mais si la prison n'est pas souvent le meilleur lieu pour les jeunes, Malcolm a su tirer profit de ce temps enfermé.

Sa condamnation en février 1946 à dix ans de réclusion (dont il fera six ans et demi) s’offre comme un temps de maturation et d’éducation intellectuelle et spirituelle après sa conversion au printemps 1948 à l’islam suite aux enseignements de disciples d’Elijah Muhammad.

Transformé

Ainsi c’est un homme transformé qui sort le 7 août 1952 et devient rapidement un proche du dirigeant des Musulmans noirs, et même progressivement son porte-parole. L’homme qui sort de prison devient un ministre des Musulmans noirs qui se dépense sans compter pour semer la bonne parole de l’islam parmi les Noirs américains. Dès lors, ses succès ne se font pas attendre, vu ses capacités d’organisation et sa connaissance des Noirs pauvres, de classe ouvrière et de milieu urbain.

Il est capable comme nul autre de leur insuffler la fierté d’être noir, tout en traduisant, dans une rhétorique qui fait mouche à chaque fois, leurs déceptions, leurs malheurs, leurs colères et leurs attentes. Son désir le plus cher : que les Noirs apprennent à s’aimer eux-mêmes en tant que Noirs. Encore faut-il pour cela surmonter l’obstacle majeur de normes d’humanité établies par les Blancs, ne plus vouloir à tout prix leur ressembler, et même sans s’en rendre compte.

Il supprime son nom de famille

Malcolm choisit le X pour nom de famille. Il supprime ainsi le nom du maître de ses ancêtres esclaves et désigne avec X l’héritage africain inconnu et perdu.

Malcolm franchit une deuxième étape lorsqu’il prend conscience que son mentor et père spirituel Elijah Muhammad mène une vie sexuelle dissolue. Déjà condamné au silence public par ce dernier, suite à une déclaration tenue au lendemain de l’assassinat du Président John Kennedy, Malcolm quitte en mars 1964 la Nation de l’Islam, ouvre une nouvelle mosquée à New York, peu avant de partir effectuer un pèlerinage à La Mecque.

Mais le temps est court. N’a-t-il pas pris trop d’ascendant parmi les Musulmans noirs ? Ne craint-on pas une alliance entre sa nouvelle organisation et celle d’un Martin Luther King. Ce voyage est décisif. Il y perd la haine des Blancs et comprend que son maître ne dispensait qu’une interprétation réduite de l’islam. Dès lors, il veut en savoir davantage, se forme auprès de théologiens, multiplie les contacts avec des dirigeants du tiers-monde, principalement africains, et revient aux Etats-Unis bien décidé à lui aussi s’inscrire dans la lutte en faveur des droits civiques et politiques. Mais le temps est court. N’a-t-il pas pris trop d’ascendant parmi les Musulmans noirs ? Ne craint-on pas une alliance entre sa nouvelle organisation et celle d’un Martin Luther King ?

Le Malcolm -  musulman sunnite orthodoxe – qui s’exprime désormais garde le verbe haut,  continue à prôner le séparatisme plutôt que l’intégration, mais il laisse de plus en plus apparaître ce qui l’habite et ce à quoi il est prêt à tout sacrifier : « Je suis pour la vérité, qui que soit celui qui la prononce. Pour la justice quel que soit celui qui lutte en sa faveur ou s’y oppose. Je suis d’abord et avant tout un être humain, et en tant que tel je suis pour quiconque  et quoi que ce soit dont bénéficie l’humanité toute entière. »

Alors si l’on préfère s’en tenir à un Malcolm fauteur de troubles hier, n’est-ce pas que cette figure dérange encore, tant elle témoigne avec une force peu commune que la recherche de la vérité qui ne connaît pas de frontières – pas même religieuses – est porteuse de paix. Et s’en souvenir véritablement stimule à ne plus laisser les discours prendre la place des engagements vrais qui seuls fécondent la vie.
Lire

- Ce portrait est le troisième et dernier du genre, tiré du livre de Curtis DeYoung, Mystiques en action. Dietrich Bonhoeffer, Malcolm X, Aung San Suu Kyi, Genève, Labor et Fides, 2010.
-    James H. Cone, Martin Luther King et Malcolm X, Genève Labor et Fides, 2002.