Visions du réel : Reflets d’un monde mutant

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Visions du réel : Reflets d’un monde mutant

Anne-Sylvie Mariéthoz
15 avril 2011
L’un des trois principaux festivals suisses de cinéma, Visions du réel, a fermé ses portes à Nyon mercredi dernier. Retour avec la présidente du jury interreligieux, sur quelques tendances qui ont marqué l’édition 2011.


Le thème de l’Europe, comme utopie négative, surtout préoccupée de sa sécurité et de ses frontières, est au cœur d’«Abendland». L’Europe montrée dans ce film est un espace fermé qui fonde son identité sur l’exclusion, habité par des individus désorientés qui, de Londres à Munich en passant par Rome, créent des lieux de sociabilité artificiels et d'étranges rituels collectifs.

Ce film fait écho à d’autres courts ou longs métrages sur l’obsession sécuritaire comme «Max Kennedy and the american dream» (USA, Mexique), «The impossibility of knowing»(Singapour), ou encore «L’autre versant de Gstaad» (Suisse) et «Tao m’a dit», qui posent la question des racines et de l’identité.

Dans cette sélection 2011, plusieurs films parlent de manière pessimiste des espaces dans lesquels nous vivons, a relevé Daria Pezzoli-Olgiati, professeure de sciences des religions à l'Université de Zurich et présidente du jury interreligieux. Des longs métrages en compétition comme «Mercado de futuros» (Espagne), «Alpi» (Allemagne), ou «Abendland» (Autriche) renvoyent une vision négative de l’Occident, un espace déshumanisé de moins en moins hospilier.

«Il Castello», film italien consacré à l’aéroport de Malpensa à Milan montrent des portes de fer, des cages d’escaliers et d'autres endroits stériles et peu accueillants, des non-lieux, où l’être humain se sent étranger et ne peut (devrait) que passer rapidement.

La famille, lieu de tous les débats

La famille dans tous ses états était aussi très présente dans ce festival 2011. Il peut s’agir d'une famille unie dans le deuil et la souffrance, comme dans «Epilogue» (Belgique, mention spéciale du jury 2011), de la famille éclatée, volée, dénaturée, avec «Né sous Z» (France, Belgique). Ce film conte l’histoire des enfants nés des relations entre des femmes indochinoises et des soldats français durant la guerre, et qui furent arrachés à leur mère pour être emmenés en France.

Parfois la famille est impossible à fonder ou à regrouper pour différentes raisons, comme dans «Ikuisesti Sinun» (Finlande, Grand Prix de La Poste) ou «Leite e Ferro» (Brésil). La question de la responsabilité face aux enfants est posée et la famille se présente au final «comme le lieu où se débattent les problèmes éthiques de notre temps».

Comment renaître après une guerre civile?

Comment renaître après une guerre civile? «El lugar mas pequeno», un film consacré au conflit du Salvador, en a fait son propos. Il vient d'être récompensé à Nyon par le prix du meilleur long métrage, ainsi que par le prix du jury interreligieux. La réalisatrice mexicaine Tatiana Huezo Sánchez, revient sur les souvenirs de cette violence, absente du paysage, mais présente dans la mémoire des habitants.

«Par une stratégie formelle très bien choisie, elle évoque les horreurs de la guerre, sans jamais les montrer», relève Daria Pezzoli-Olgiati. Ce sont les images du présent qui défilent, tandis qu’une voix off raconte l’histoire, lourde de sang, de ce village qui aujourd’hui se développe dans un paysage magnifique et une nature luxuriante. C’est précisément cet effet de contraste, de décalage entre images et récit, qui fait la force de ce témoignage.

Loin du bruit du siècle

Aux antipodes de la violence, le film «Scheich Ibrahim, Bruder Jihad» (Allemagne) pointe son objectif sur les liens d’amitié qui unissent deux personnages appartenant à des traditions religieuses différentes. Le cheikh sufi syrien Ibrahim et son compatriote, le frère catholique Jihad, aiment se rencontrer, échanger sur leurs préoccupations et sur leurs courants spirituels respectifs.

Le jury interreligieux regrette une contemplation sans doute trop douce en regard des tensions actuelles entre les mondes musulman et chrétien. Ce film s’est vu toutefois décerner la mention spéciale du jury interreligieux.


INFO

Le jury intereligieux du festival Visions du réel 2011 était composé de Hassouna Mansouri (critique de cinéma et auteur, Pays-Bas), Daria Pezzoli-Olgiati (professeure de sciences des religions, Université de Zurich, Suisse), Raphael Pifko (directeur de projet à l'École polytechnique fédérale de Zurich, Suisse), Jacqueline Veuve (cinéaste et productrice, Suisse).