Les indésirables

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Les indésirables

Miriam Bunjes
15 avril 2013
Dortmund (epd – ProtestInter) La Ford Transit grise embarque trois hommes. Quelque 25 autres restent debout dans la neige fondue, sur la voie centrale, s’efforçant de demeurer impassibles. Ils attendent du travail ici, entre le café de l’Europe et le marché du Nord – au cœur de l’ancien quartier ouvrier de Dortmund, où il y a aujourd’hui beaucoup de gens sans travail.

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On a baptisé «trottoir des travailleurs» ce refuge au milieu de la circulation. Il existe depuis que la Roumanie et la Bulgarie ont adhéré à l’Union européenne en 2007 et que les nouveaux citoyens européens sont toujours plus nombreux à venir tenter leur chance ici.

Ils ne sont pas venus pour faire des études ou pour combler le manque de travailleurs allemands qualifiés. Ce sont des gens qui ont peu de chances de trouver des moyens d’existence chez eux. Beaucoup viennent de Stolipinovo, le «ghetto des Roms», grande cité de la banlieue de Plovdiv, en Bulgarie, où vivent quelque 60 000 Roms. Un groupe de population qui, comme l’a noté récemment la Commission européenne, est exposé à la violence raciste en Bulgarie et en Roumanie et n’a pratiquement pas accès à la formation et au marché du travail.

Comme Enis et Aliena, qui s’appellent autrement mais préfèrent conserver l’anonymat. Ils sont arrivés de Stolipinovo il y a deux ans. Cela leur a coûté près de 1000 euros pour qu’Enis reçoive une autorisation d’activité en tant que collecteur de métaux et puisse présenter une demande d’allocations familiales. L’argent est allé à l’homme qui a organisé le voyage et dont ils préfèrent ne pas parler.

Dans l’intervalle, la somme est presque entièrement payée. Pour cela, Enis se place sur la voie centrale et Aliena récolte des bouteilles consignées. «Nous savons que les gens d’ici n’ont pas bonne opinion de nous», dit Enis, qui entre-temps a appris l’allemand. Il pense que leur fille aura un meilleur sort. La petite de sept ans va à l’école à Dortmund. «Elle apprend beaucoup, ajoute Enis. En Bulgarie, nous n’aurions pas de quoi manger.»

Depuis 2007, près de 2500 Roumains et Bulgares sont arrivés à Dortmund, 5000 à Duisburg – où des groupes de droite organisent depuis des semaines, avec des habitants du lieu, des manifestations très médiatisées contre la présence des migrants –, et des milliers dans d’autres grandes villes. L’Association des villes allemandes appelle cela la «migration de la pauvreté».

Conditions sociales de l'adhésion à l'UE pas remplies

Elle demande maintenant l’aide du gouvernement fédéral et de l’UE. Dans une prise de position, l’Association a indiqué que ces instances n’avaient en vue que le commerce extérieur quand elles ont décidé de l’adhésion à l’UE. On a ignoré le fait que les conditions sociales de l’adhésion n’étaient absolument pas remplies. Maintenant, c’est aux communes qu’on demande de prendre en charge les migrants pauvres.

De plus, la libre circulation des travailleurs deviendra illimitée à partir de janvier 2014 pour les Roumains et les Bulgares. Jusque-là, ils ont besoin d’une autorisation de travail – inaccessible pour les personnes sans qualification qui attendent sur le «trottoir des travailleurs». Toutefois, ils peuvent déjà travailler ici en tant qu’indépendants ou saisonniers.

«Nous nous attendons à ce qu’à partir de 2014 il y ait encore plus de personnes d’Europe du Sud-Est qui arrivent chez nous», explique la porte-parole de Dortmund Anke Widow. L’administration a calculé que cela coûterait à la ville 1,1 million d’euros par 100 personnes. Au minimum. «À partir de 2014, ils auront également droit aux prestations sociales.»

Jusqu’ici, ils n’y ont pas droit. «Les personnes avec enfants reçoivent des allocations familiales, rien de plus», explique Bastian Pütter, du projet Bodo en faveur des sans-abri, qui, avec d’autres organismes responsables, a mis en place un réseau d’assistance aux nouveaux citoyens. «C’est une pauvreté plus dramatique que celle qui existait jusqu’ici.» Les aides sont limitées: le service diaconal offre une aide spéciale aux nouveaux arrivants, mais l’aide sociale aux sans-abri leur demeure fermée.

La ville aide aussi «en cas d’urgence», mais il n’existe pas de droit à l’aide, car «ceux qui ont décidé de venir à Dortmund ont pris en compte le fait qu’ils pourraient se trouver sans toit». «Il existe des consultations gratuites au service de santé, et également un travail dans la rue», ajoute Bastian Pütter.

«Mais Dortmund n’insiste pas trop là-dessus, par crainte de gagner en attractivité pour les migrants. La migration touche des quartiers qui, de toute manière, ont déjà des problèmes. «Des maisons entières sont vides», dit Pütter. Certes, elles sont froides et délabrées, «mais beaucoup de gens sont habitués à la misère».

Pour quatre heures à la plonge d’un restaurant, Enis a reçu 5 euros la semaine dernière. Il trouve ce salaire «normal». Les occupants de la Ford Transit grise demandaient des travailleurs de la construction – dans tous les cas, les salaires ne sont jamais bien hauts. «Il y a des gens, dans ce pays, qui exploitent cette misère à leur profit», conclut Bastian Pütter. (FNA - 20)