50 ans après Birmingham, les manifestants se souviennent

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50 ans après Birmingham, les manifestants se souviennent

14 mai 2013
Birmingham, Alabama, États-Unis (RNS - ProtestInter) – En mai 1963, des milliers d'écoliers de la ville de Birmingham bravèrent les chiens de police, les canons à eau et les mises en détention pour manifester contre la ségrégation
Aujourd'hui, 50 ans plus tard, celles et ceux qui participèrent à ce qu'on a appelé par la suite «la croisade des enfants» ne veulent pas qu'on oublie leur histoire.

«Ce n'était pas seulement pour nous que nous le faisions, mais pour un objectif plus noble», affirme l'un de ces jeunes manifestants, Freeman Hrabowski III. «Ce qui était en jeu, c’était les droits civiques pour tous les citoyens des États-Unis.»

Freeman Hrabowski est aujourd'hui le président de l'Université du Maryland, Comté de Baltimore. Il avait 12 ans quand il manifesta dans Birmingham avant d'être arrêté pour avoir défilé sans autorisation. À l'instar de centaines d'autres enfants, il fut placé en détention pendant cinq jours avant d'être relâché.

Croisade des enfants

Des spécialistes affirment que la croisade des enfants permit de galvaniser la lutte pour les droits civiques à un moment où les efforts faiblissaient.

«Ce fut vraiment le tournant décisif en une année décisive», a déclaré Taylor Branch, lauréat du prix Pulitzer et auteur d'une série de livres sur le mouvement des droits civiques, à l'émission de la télévision publique PBS «Religion & Ethics NewsWeekly».

En 1963, Birmingham était considérée comme le cœur du Sud ségrégationniste. Le pasteur Martin Luther King, Jr. était arrivé en janvier 1963 afin de soutenir les efforts menés localement pour mettre fin à la ségrégation par des manifestations non violentes. La campagne n'aboutit pas aux succès escomptés.

«Il se prépara pendant trois mois et les manifestations commencèrent en avril. Elles firent bien vite long feu; rien ne se déroulait comme prévu», raconte Taylor Branch.

Tandis que le pasteur King se démenait pour convaincre les adultes de défiler et de se faire arrêter, des responsables du mouvement pour les droits civiques, comme le pasteur James Bevel et Dorothy Cotton, organisaient des réunions spéciales pour les écoliers et lycéens de Birmingham.

L'idée de placer des enfants en première ligne était controversée. Les leaders du mouvement débattaient entre eux de l'opportunité de cette stratégie. «Le pasteur King a été sévèrement critiqué pour avoir permis aux enfants de s'impliquer», a rappelé le pasteur Virgil Wood, compagnon de la première heure du pasteur King.

«Je savais que je voulais en être»

La pasteure Carolyn McKinstry avait 14 ans quand elle apprit que des jeunes prévoyaient de manifester. Elle n'en parla pas à ses parents parce qu'elle savait qu'ils ne la laisseraient pas faire. «Il y avait une telle excitation dans l'air», se souvient-elle. «Je savais que je voulais en être.»

La pasteure McKinstry a expliqué qu'avant de pouvoir défiler, les jeunes reçurent des instructions sur l'importance de la non-violence.

«On nous a dit à quoi il fallait qu'on s'attende au cours de notre manifestation, au cas où nous rencontrions la police. Les policiers pouvaient nous frapper, ils pouvaient nous cracher dessus, ils y auraient des chiens et des matraques, mais la seule réaction adéquate ne serait jamais que l'absence de réaction, ou une réaction en prière», raconte-t-elle. «La foi constituait une grande part de notre action.»

Près de 600 enfants placés en détention

Le 2 mai au milieu de la journée, des élèves quittèrent les cours pour se réunir à l'église baptiste de la Seizième rue. Ils en sortirent en défilant et en chantant, une rangée après l'autre. Certains n'avaient que six ans. Près d'un millier d'écoliers s'étaient engagés à défiler et plus de 600 d'entre eux furent placés en détention ce jour-là.

À mesure que d'autres enfants arrivaient par centaines pour manifester, s'exposant à de possibles arrestations, le chef de la police de Birmingham, Eugene «Bull» Connor, était de plus en plus soucieux de rétablir l'ordre. Il ordonna à ses hommes de sortir les canons à eau et les chiens. L'une des confrontations les plus choquantes se produisit au parc Kelly Ingram, où les autorités ouvrirent les canons à eau sur les enfants qui manifestaient.

«La pression qui sortait de ces canons était vraiment énorme; c'est une expérience très douloureuse», affirme la pasteure McKinstry. «J'ai été renversée, et puis nous nous sommes recroquevillés en cherchant quelque chose pour nous accrocher.»

La police recourut également aux chiens pour tenter de maîtriser la foule réunie dans le parc. Des journalistes purent recueillir des images de jeunes se faisant attaquer par des bergers allemands. Les manifestations – et les arrestations – se poursuivirent plusieurs jours. Galvanisés par les enfants, les adultes vinrent grossir les rangs.

Freeman Hrabowski faisait partie d'un groupe d'enfants qui marchaient vers l'hôtel de ville le deuxième jour des manifestations. Là-bas, il se retrouva face à face avec Eugene Connor, qui lui demanda ce qu'ils voulaient.

«"Nous voulons nous agenouiller et prier pour notre liberté." C'est tout ce que j'ai dit», se souvient Freeman Hrabowski. Le chef de la police le souleva, lui cracha au visage et le fit mettre aux arrêts.

Freeman Hrabowski affirme qu'il était détenu dans une cellule surpeuplée, avec des enfants encore plus jeunes que lui. Au bout d'un certain temps, on les autorisa à recevoir la visite de leurs parents et du pasteur King.

«Il a dit: "Ce que vous avez fait aujourd'hui aura des répercussions sur les enfants qui ne sont pas encore nés",» raconte Freeman Hrabowski. «Nos parents pleuraient. Nous aussi nous pleurions. Nous savions que ce qu'il disait était profond mais nous ne comprenions pas vraiment.» (JMP-36)

Sidération devant les images de Birmingham

Partout aux États-Unis, on fut sidéré par les informations et les images en provenance de Birmingham. C'est là que le mouvement prit un autre tour.

«Des milliers de citoyens voyaient depuis des années les manifestations en se disant: "Bien sûr, il y a quelque chose d'anormal et nous devrions agir, mais pas moi, je laisse ça aux autres". Ces gens-là ne pouvaient désormais plus contenir leurs émotions», dit Freeman Hrabowski. «Quand ils ont vu ces enfants qui souffraient [...] des millions de gens se sont dit: "Il faut que je fasse quelque chose."»

Préoccupés par l'image de leur ville, les dirigeants blancs négocièrent un calendrier pour commencer à mettre fin à la ségrégation. Puis, le 11 juin, mentionnant les événements de Birmingham, le président John F. Kennedy annonçait son intention de mettre en place une nouvelle législation fédérale sur les droits civiques.

(Une version de cet article a été diffusée à dans une émission de PBS “Religion & Ethics NewsWeekly.”)