Moltmann: la 'Théologie de l'espérance'

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Moltmann: la 'Théologie de l'espérance'

Pierre Bühler
4 décembre 2013
Nous sommes dans les années 1960. Beaucoup de choses sont en mouvement dans le monde, même si c’est toujours l’ambiance de la guerre froide et des armements nucléaires. Aux Etats-Unis, Martin Luther King a lancé sa lutte pour les droits civiques des Noirs. «I have a dream», «J’ai un rêve», dira-t-il lors de son grand discours d’il y a cinquante ans.

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Les Kennedy le soutiennent, eux qui tentent de relancer la démocratie aux Etats-Unis. En Tchécoslovaquie, un mouvement de renouveau se dessine, qu’on appelle le «Printemps de Prague», luttant pour un socialisme à visage humain. En Allemagne et en France, les mouvements d’étudiants, qui conduiront à Mai 68, prennent de l’ampleur, revendiquant une nouvelle éducation, une nouvelle culture.

C’est dans ce contexte qu’un théologien allemand écrit sa «Théologie de l’espérance», parue en 1964 (elle aura cinquante ans l’année prochaine!) Une traduction française paraîtra en 1970 aux Editions du Cerf, à Paris.



Qui est Jürgen Moltmann?


Issu de l’Eglise réformée allemande, Jürgen Moltmann (photo) est né à Hambourg en 1926. Après ses études de théologie dans la période de l’après-guerre à Göttingen, il est pasteur pendant quelques années à Brême, avant d’entrer dans sa carrière académique, à Wuppertal d’abord, puis à Bonn, et enfin, à partir de 1967, à Tübingen, où il enseignera jusqu’à la fin de sa carrière.

D’autres ouvrages suivront celui de 1964, l’approfondissant et en précisant certains accents. Dans les années 1980, Moltmann développera sa réflexion en direction d’une théologie écologique. Avec Dorothea Sölle et Johann Baptist Metz notamment, Moltmann a marqué un tournant politique dans la théologie allemande. Il influencera aussi très fortement les théologiens de la libération en Amérique latine.



Principe espérance

Du point de vue philosophique, Moltmann s’inspire de mouvements de renouveau de la pensée marxiste, s’attachant à extraire le socialisme de la barbarie soviétique et à lui redonner une dimension de libération humaniste. C’est le cas chez des auteurs réunis dans ce qu’on appelle l’Ecole de Francfort (Horkheimer, Adorno, Benjamin).

Mais c’est surtout le cas aussi d’un penseur qui marquera fortement Moltmann, Ernst Bloch. Ce philosophe allemand, enseignant à Leipzig, puis à Tübingen également, venait de publier, dans les années 1950, un ouvrage en plusieurs volumes intitulé «Principe espérance». Cet ouvrage est à l’arrière-plan de la «Théologie de l’espérance».


Mais la source d’inspiration première de Moltmann est biblique. Il s’attache à montrer que la dimension fondamentale qui porte le message chrétien tel qu’il s’énonce dans le Nouveau Testament est celle d’une promesse divine d’avenir, une promesse déjà proclamée dans l’Ancien Testament. Le Dieu biblique est un Dieu qui ouvre un avenir à son peuple et qui invite donc ce peuple à cheminer vers cet avenir.

C’est pourquoi Moltmann peut dire qu’au fondement de toutes choses se trouve l’eschatologie (la conception des choses dernières). Du point de vue chrétien, cet avenir est anticipé dans le message de la résurrection du Christ: c’est en elle que s’ouvre l’espérance en l’avenir libérateur que Dieu nous promet.


Contrairement à la théologie dialectique (Karl Barth, notamment), qui conçoit l’intervention divine comme l’irruption ponctuelle de la Parole de Dieu, Moltmann souligne que l’action divine est un processus historique de libération, un mouvement vers un avenir de justice, de paix et de solidarité. C’est pourquoi le peuple de Dieu est appelé à œuvrer pour l’avènement de ce processus, en posant des signes de cet avenir divin, en participant activement à libérer les humains de leurs souffrances, de leurs aliénations.

Le Dieu crucifié


Tournant en 1968: Martin Luther King et Robert Kennedy sont assassinés, Mai 68 est réprimé, les tanks soviétiques entrent à Prague. Quelques années après sa «Théologie de l’espérance», Moltmann publie un ouvrage intitulé «Le Dieu crucifié» (1972; traduction française en 1974). Faut-il y voir un revirement, de l’espérance au désespoir?

Non! Il convient de souligner que l’espérance, si elle ne veut pas être aveugle, doit intégrer le moment de la lutte, de la souffrance dans les adversités. Elle est un mouvement de résistance, et c’est pourquoi le Ressuscité est aussi le Crucifié.


Autrement dit: «positiver», ce n’est pas faire l’autruche, fermer les yeux face au négatif, qui reviendra sans cesse. «Positiver», c’est se confronter au négatif, pour y puiser des ressources nouvelles, des forces... d’espérance.