Dieu seul est juste

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Dieu seul est juste

8 octobre 2014
Chaque semaine, Protestinfo laisse carte blanche à une personnalité réformée.

Suzette Sandoz, professeur honoraire de droit à l’Université de Lausanne s’insurge contre la tentation de se lancer dans une «guerre juste».

Image: «L'Entrée des croisés à Constantinople», Eugène Delacroix, 1840.

Aucun être humain n’est juste, aucun peuple n’est juste, aucune guerre n’est juste, seul Dieu est juste.

Lorsque «juste» signifie simplement «exact» (un calcul est juste, un raisonnement est juste), il peut être utilisé avec un substantif quelconque, mais le mot est réservé à Dieu seul quand il exprime une idée de justice, voire de perfection.

Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler cette évidence au moment où la tentation est grande, à cause des massacres, viols et déportations d’innocents, de parler d’une guerre juste pour désigner les frappes militaires destinées officiellement à faire cesser ces horreurs.

En matière de guerre, comme de violence, il n’y a que deux faces: l’agression et la légitime défense. L’agression implique l’attaque d’un autre pays, la légitime défense, la riposte sur son propre territoire.

La contre-attaque dans le pays attaquant est-elle une légitime défense? La réponse n’est pas évidente. On peut concevoir qu’une contre-attaque se borne à détruire ou à essayer de détruire, dans le pays de l’attaquant, les sources de l’attaque. Il y a bien là une sorte de légitime défense; mais il faut garder à l’esprit que la défense doit toujours être proportionnée à l’attaque pour rester légitime.

Cette conception un peu mathématique de la violence correspond à une lecture «technique» de la guerre. Chacun des protagonistes se considère comme attaqué et en train d’exercer sa légitime défense et puis, à un certain moment, on mettra fin aux hostilités, peut-être par raison — c’est douteux — probablement par lassitude et épuisement.

Il faut surtout souhaiter que des alliances militaires, économiques ou autres n’aient pas provoqué l’entrée en guerre d’autres peuples ou Etats, aux côtés des belligérants d’origine, car le processus de paix est alors plus long, les intérêts en jeu et les forces engagées étant plus nombreux.

Très différente est la situation quand une guerre est qualifiée de «juste» ou de «sainte»; c’est en principe — à tort d’ailleurs, selon nous — le cas d’une guerre de religion. Dès ce moment, ce ne sont plus les forces militaires qui sont déterminantes, mais le degré de fanatisme des belligérants. L’être humain est capable d’une résistance et d’un courage exceptionnels, mais aussi d’une cruauté identique, quand il devient fanatique. Il se croit la mission de champion d’un dieu qui doit assurer sa suprématie sur celui du peuple adverse. Par définition, les dieux n’ont pas de limites à respecter. Et si, par hasard, un des belligérants faiblit avant l’autre, c’est la victoire d’un dieu sur l’autre. Or un dieu n’est jamais vraiment vaincu. La guerre n’a donc pas de raison de prendre vraiment fin.

Le massacre des chrétiens et d’autres minorités religieuses provoque à juste titre l’inquiétude de la communauté chrétienne. Mais que l’on se garde de favoriser la dégénérescence du conflit en une guerre de religion. Les Eglises ou leurs autorités, comme telles, ne peuvent pas appeler l’aide militaire — même pas sous le nom d’opération de police — des nations occidentales, de culture chrétienne. Elles ne peuvent manifester leur solidarité avec tous les chrétiens violentés qu’en faisant sonner (le glas) à toutes les cloches dans le plus grand nombre de régions et pays possible, en appelant à la prière silencieuse pour tous les peuples qui souffrent, notamment les chrétiens, et pour «ceux qui les persécutent», car Dieu seul peut donner la paix à ceux qui souffrent et faire tomber les écailles des yeux de ceux qui les persécutent.

Les frappes militaires sont d’une autre nature, elles ne peuvent avoir un caractère religieux. Elles peuvent être légitimes, justifiées, utiles. Elles ne peuvent être justes au nom de la religion. C’est notamment peut-être le rôle des chrétiens que d’éviter la confusion.