Il faudra désormais compter sur le vote athée pour être élu

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Il faudra désormais compter sur le vote athée pour être élu

Kimberly Winston
10 juin 2016
A quelques mois des élections présidentielles américaines, les organisations athées organisaient un grand rassemblement. Objectif montrer qu’humanistes, athées, agnostiques et autres «sans affiliation religieuse», sont un bloc électoral qui compte. Mais fédérer un tel groupe est un défi et oblige les associations à sortir de la logique d’éradication des Eglises qui ne fait plus recette parmi les jeunes.

Photo: CC(by-nd) Hillel Steinberg

, RNS/Protestinter

Les marches du Lincoln Memorial ont accueilli des militants pour les droits civils depuis des décennies. C’est devant le monument élevé à Washington en mémoire du président Lincoln que Martin Luther King a prononcé son «Je fais un rêve», en 1963, lors de manifestation pour l’égalité civile et économique pour les Afro-Américains. Et c’est aussi là que des groupes LGBT ont demandé la fin des discriminations dans les années 1990.

Samedi 4 juin, ces mêmes marches accueillaient des athées, des agnostiques, des humanistes et autre «sans religion» pour ce qui devait être «le plus grand rassemblement de personnes non religieuses de l’histoire» selon le site web de l’évènement «Reason Rally» (ralliement pour la raison). Il s’agissait de la seconde édition de cette manifestation, la première rencontre ayant rassemblé entre 10'000 et 30'000 personnes, suivant les sources, au même endroit en 2012.

L’objectif principal de ce rassemblement est de montrer que les non-croyants sont suffisamment nombreux et organisés pour être un bloc avec lequel il faudra compter lors des élections présidentielles de novembre. «Cette communauté a le pouvoir de déplacer les montagnes et nous avons juste besoin de ce moment où nous pouvons attirer l’attention sur ce que notre communauté croit et peut faire», explique Kelly Damerow, président de l’évènement et militant athée. «C’est ce à quoi nous essayons de parvenir avec Reason Rally.»

Mais les obstacles sont énormes. Athées, humanistes et autres incroyants ne sont généralement pas dans une logique d’adhésion. Et l’élection de cette année pose un autre défi pour les sécularistes: aucun des principaux candidats n’assume une posture religieuse. Alors, comment fédérer les incroyants, s’il n’y a pas de «méchant» chrétien, catholique ou mormon à qui s’opposer? «Par le passé nous jouions en quelque sorte en mode facile», compare Lyz Liddell responsable du groupement de sponsors de Reason Rally, qui regroupes les plus grandes organisations athées du pays. «Nous pouvions dire “Attention! Voici Ted Cruz, le croque-mitaine de la droite religieuse.” Cette campagne sera un test pour voir si nous pouvons exister hors de l’opposition aux religions organisées.»

Premiers pas

Lors de la première rencontre de Reason Rally en juin 2012 à Washington, environ 20'000 personnes étaient venues pour écouter des stars de l’athéisme telles que Richard Dawkins, Bill Maher et Adam Savage. Dix ans plus tôt, «La marche sur Washington des Américains sans dieu», avait drainé quelques milliers de personnes, pour la plupart des hommes blancs d’âge moyen. Par contraste, la rencontre de 2012 avait réuni davantage de personnes jeunes, et de personnes de couleur. La diversité est critique, selon les militants, tant pour la santé du mouvement athée que pour former un bloc séculier dans les urnes. Le choix des orateurs des Reason Rally reflète cette volonté de diversité. En plus des routiniers de ce genre de manifestation —le scientifique Bill Nye, la comédienne Julia Sweeney, le magicien Penn Jillette —, quelques nouveaux visages, dont plusieurs de couleurs, ont fait leur apparition — la comédienne Margaret Cho, des membres du groupe de hip-hop Wu Tang Clan, le comédien Leighann Lord et Anthony Pinn, professeur à l’Université Rice.

«En regroupant des personnes de différents âges, couleur et orientation sexuelle, nous espérons montrer que Reason Rally n’est pas qu’un groupe de clones de Richard Dawkins. Nous ne rentrons pas dans la petite boîte dans laquelle on essaie de nous enfermer», explique Hemant Mehta, célèbre blogueur athée et auteur de plusieurs livres sur le sujet. «D’ailleurs, ce n’est pas que pour le public et le monde politique. Nous devons aussi convaincre les athées que nous sommes un groupe bien plus vaste qu’ils ne l’imaginent.»

Au-delà de la question Eglise/Etat

Si les thématiques abordées par les premières manifestations tournaient principalement autour des questions liées aux relations entre Eglises et Etat, les thématiques étaient plus larges cette année. Le changement climatique, les droits des personnes LGBT, l’éducation sexuelle et la justice sociale étaient aussi au centre des débats.

«La clé pour former un bloc de votants, c’est de mettre en évidence comment ces problématiques sont en lien avec les “valeurs laïques”, pas seulement avec les “valeurs athées”», explique Lyz Lidell. «Fédérer des gens au-delà de la question Eglise-Etat est essentiel afin de toucher un public plus jeune. Selon les sondages, ces derniers sont moins attirés par l’idée d’éradiquer la religion.» Elle résume «le cœur de notre pensée est la raison. Alors ce n’est pas important si nos membres sont d’abord féministes ou d’abord environnementalistes, parce que nous avons une base commune qui est la raison.»

Noir et blanc

Mais est-ce que cela suffira à fédérer les 23% d’Américains qui se déclarent sans affiliation religieuse, selon les derniers sondages de Pew Forum. Seulement environ 7% se déclarent athées ou agnostiques, contre 4% en 2007. Ils ne représentent donc qu’un tiers de ceux qui se disent sans affiliation religieuse.

John C. Green, professeur de sciences politiques à l’Université d’Akron estime qu’une telle diversité peut être l’embryon à la fois de la plus grande force et de la plus grande faiblesse, du bloc électoral athée. Il tire une analogie avec le vote catholique. «Les catholiques sont sur la même longueur d’onde sur certains sujets, mais sont très éparpillés sur tout le reste», explique-t-il.

«Je suis sûr que le vote séculier fera un pas en avant cette année, mais je ne suis pas certain de la taille de ce pas», poursuit-il. L’absence d’un candidat religieux complique l’affaire. Donald Trump se présente comme presbytérien, mais il a montré peu de culture religieuse. Et Hillary Clinton, méthodiste unie, garde sa foi plus privée. Enfin, Bernie Sanders apparaît comme un juif plus sécularisé que religieux.

Pour David Silvermann, président d’American Atheists (Américains athées) et l’un des principaux organisateurs de l’édition 2012 de Reason Rally, l’absence de candidat religieux est plutôt une opportunité. «Maintenant, c’est à notre tour de montrer que les politiciens n’ont pas besoin de s’appuyer sur le vote évangélique. Vous pouvez obtenir davantage de votes en vous appuyant sur le vote des athées.»