Guerre, imitation et sacrifice

cercle vertueux ou vicieux?
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cercle vertueux ou vicieux?

Guerre, imitation et sacrifice

4 mars 2024

Ces temps-ci, je trouve mon entourage bien morose. Souvent on y fait allusion à la guerre. Elle dure en Ukraine. Elle revient pour la xème fois au Proche-Orient. Elle est comme d'habitude présente dans les familles, au travail, en politique, entre classes sociales... On avait cru pouvoir cacher sous le tapis ces « petites » dissensions. Les « grandes » guerres qui accaparent nos écrans nous rappellent nos « petites » guerres. Ces dernières aussi font mal. Nous aimerions leur trouver à toutes une solution. Nous désespérons d'en inventer. Depuis le temps que les humains sont humains, ils semblent être en guerre. Comment espérer quand même une paix, sinon universelle, au moins locale, régionale et surtout durable ?

Pourquoi la guerre ?

Quel est le dénominateur commun à toutes les guerres que nous vivons ou dont nous sommes les témoins ? L'hypothèse de René Girard me paraît en la matière très intéressante. Il affirme que tout part de notre besoin d'imiter les autres. Nous apprenons par imitation comme du reste pas mal d'animaux. Nous aimerions être comme l'autre, posséder ce que possède l'autre... L'envie est ce qui anime notre course vers le mieux. Arrive toutefois un moment où nous découvrons que notre modèle n'est pas aussi parfait que nous l'avions imaginé. Nous n'avons alors qu'une idée en tête : le dépasser. Quelle va être sa réaction ? Il était très honoré d'être mis sur un piédestal. Il trouve saumâtre d'être en concurrence avec son imitateur. La concurrence devient telle qu'il faut qu'il y ait un gagnant et un perdant, même parfois que l'un disparaisse pour que l'autre prenne toute la place. La violence s'installe.

Actualisation

Le conflit israélo-palestinien peut, me semble-t-il, être relu dans ses très grandes lignes en termes d'imitation. Les palestiniens avaient une terre où être « à la maison ». Les juifs n'en avaient pas. Les juifs prennent pour modèle et envient ceux qui occupent la terre de leurs ancêtres. Les palestiniens refusent d'être « dépassés » et se révoltent. En réaction, les juifs entrent en guerre et constituent leur état. Renversement de situation. Le succès de l'état hébreux est envié par les palestiniens qui n'avaient pas proprement d'état à eux. Une fois qu'ils ont obtenu une très relative autonomie, voilà que les israéliens à l'étroit dans leur territoire envient les terres de leurs voisins qui deviennent des « modèles ». Ils se mettent à les occuper illégalement. Cela provoque la réaction violente de ces modèles qui ne sont plus respectés. A la violence palestinienne répond la violence israélienne et vice versa...

Comment mettre fin à la violence ?

Girard fait l'hypothèse que l'humanité a trouvé un moyen de contenir pour un temps la violence née de l'imitation. Elle a inventé le sacrifice et, à cette occasion, la religion. Pour éviter que la violence réciproque ne devienne excessive et anéantisse la communauté, le seul moyen est de trouver un bouc émissaire. On choisi un être différent des autres. Alors qu'il est innocent, on le déclare coupable (par exemple d'avoir tué son père et couché avec sa mère). On le sacrifie. Ainsi toute la communauté oublie ses querelles, unie qu'elle est dans son opposition unanime à la victime. La paix est rétablie jusqu'à ce que l'imitation, les envies et la violence ressurgissent. Le sacrifice n'est pas une solution pérenne à la guerre. L'humanité n'a pas trouvé mieux, en tout cas jusqu'à Jésus-Christ...

Actualisation

L'une des hypothèse que j'ai vue émerger à propos de la guerre déclenchée par la Russie contre l'Ukraine, c'est que la Russie commençait à avoir trop de problèmes de politique intérieure. L'un des moyens pour mettre fin à la violence interne – outre l'assassinat des opposants – consiste à chercher à faire l'unanimité contre une victime émissaire. L'Ukraine faisait parfaitement l'affaire. Poutine sera réélu. Ses amis pourront continuer à s'en mettre plein les poches. Cela durera jusqu'à ce que les violences intérieures réapparaissent.

Des recommandations surprenantes de Jésus

Dans l'évangile de Matthieu, Jésus recommande à ses disciples une chose quelque peu surprenante dans le contexte humain. Il leur dit que « le disciple n'est pas au-dessus du maître,... Il suffit au disciple de devenir comme son maître, … (10.24-25a). Le disciple doit donc imiter (devenir comme) son maître. En christianisme aussi on apprend par imitation. Il n'y a vraisemblablement pas d'autre moyen d'apprendre. Pourtant il ne s'agit pas de devenir meilleur que son maître, de le dépasser (« être au-dessus »). Dans le contexte matthéen, cela signifie que le disciple ne doit pas croire qu'il peut éviter le scandale, le rejet, la souffrance. Mais de manière plus générale, comme l'indique le chapitre 13 de l'évangile de Jean (13.17 en particulier), le disciple ne peut pas dépasser son maître, car son maître a atteint le maximum de... l'abaissement, le service du prochain, la mort pour avoir voulu libérer l'autre... Or c'est cela précisément qu'il s'agit d'imiter : le serviteur. Au passage cela signifie qu'il ne s'agit pas, comme on est trop souvent tenté de le faire, d'admirer le maître – même dans son abaissement –, mais de l'imiter.

Enseignements pour les guerres sur lesquelles nous avons quelque emprise

En prenant Jésus comme modèle, on ne risque pas de provoquer sa colère, car on est loin de pouvoir le dépasser. Au mieux pourra-t-on devenir comme lui, en donnant notre vie pour notre prochain. Ne prenons donc pas pour modèle ceux qui se sont élevés, comme nous sommes naturellement tentés de le faire. Prenons pour modèle celui qui s'est abaissé non pour s'abaisser, mais pour servir les autres. Ainsi serons-nous peut-être capables de bien modestement mettre fin à des guerres. En tous les cas, le stupide sacrifice de quelque bouc émissaire ne sera pas nécessaire. Ce serait créer une paix incertaine et absolument pas définitive. Quant à la paix suscitée par le service du prochain, elle devrait être durable. Vous pensez peut-être que la concurrence entre les disciples peut aussi mener à des guerres, comme l'histoire du christianisme l'a si bien montré ? Mais c'était à chaque fois que des disciples oubliaient qu'ils devaient prendre pour modèle l'abaissement du maître. Pourquoi le disciple qui envie un autre disciple parce que celui-ci imite mieux l'abaissement de son maître deviendrait-il violent à son égard ? S'il imite vraiment son maître, il lui faut aussi laver les pieds de son congénère meilleur que lui dans l'abaissement, lequel ne manquera pas d'également laver les pieds de celui qui l'envie. Au cercle vicieux de la violence se substitue le cercle vertueux du service.

 

 

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