Faites aux autres ce que vous aimeriez qu'on vous fasse

Moïse brandissant la loi
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Moïse brandissant la loi

Faites aux autres ce que vous aimeriez qu'on vous fasse

6 mai 2024

On résume facilement l'éthique prônée par Jésus au moyen de la règle d'or : « Tout ce que vous voulez que les gens fassent pour vous, vous aussi, faites-le de même pour eux » (Matthieu 7.12 ; cf. aussi Luc 6.31). Ce mot d'ordre n'a rien de spécifiquement chrétien. On le retrouve sous des formes diverses dans la plupart des grandes traditions morales et religieuses. S'il n'est pas dans le Coran, il se trouve dans un hadith. Ce manque d'originalité n'enlève toutefois rien à la valeur de cette recommandation.

La version négative et ses limites

Parmi les versions de la règle d'or représentées dans les grandes religions et morales existe aussi une version négative de la règle. Elle m'enjoins de ne pas faire aux autres ce que je n'aimerais pas qu'ils me fassent. Si la version positive m'incite à faire à autrui le bien que j'aimerais pour moi-même au cas où je sois dans sa situation, la négative m'invite à ne pas faire à autrui ce que j'estime mal pour moi-même. Or il y a une différence, parfois un gouffre, entre chercher le bien de l'autre et ne pas lui faire de mal. Si je suis indifférent à mon prochain, je n'ai pas l'impression de lui faire du mal. Je respecte la forme négative de la règle d'or, à moins que je me mette à définir l'indifférence des autres à mon égard comme un mal redoutable. En tous les cas je ne cherche pas nécessairement à faire son bien comme l'exige la version positive de la règle d'or.

La version positive et ses limites

A l'inverse, la règle positive a aussi ses inconvénients par rapport à la version négative. Imaginez que vous aimiez bien que, par souci d'humilité, on vous diminue. En appliquant la règle positive, vous vous efforcerez de diminuer la valeur de votre prochain. Vous accepterez peut-être même de le laisser souffrir pour lui apprendre l'humilité. Il n'est pas certain que ce soit ce que désire votre prochain ! Si vous appliquez la version négative, vous ne glorifierez pas votre prochain parce que vous n'aimez pas qu'on vous glorifie. En tous les cas votre prochain vous en voudra moins si vous ne le glorifiez pas que si vous le rabaissez ! L'inconvénient avec la règle positive, c'est que je ne suis jamais certain que ce qui est bien pour moi le soit aussi pour autrui. Si j'aime le chocolat, il n'est pas certain que ce soit le cas de mon prochain. Cela pourrait même être néfaste de lui en offrir, s'il est diabétique. Et, pour donner à penser à l'Eglise réformée vaudoise en mal de titres accrocheurs, si je suis sado-masochiste, il n'est pas certain que mon prochain le soit également...

La règle d'or et l'amour de son ennemi

Ces deux formes de la règle d'or sont donc toutes deux ambigües. Elles ont leurs avantages et leurs inconvénients. Un test de leur validité pourrait bien être de savoir si l'on peut en déduire d'autres recommandations beaucoup moins consensuelles qui se trouvent dans le Sermon sur la montagne. La plus exigeante d'entre elles est certainement celle qui nous appelle à aimer même nos ennemis (Matthieu 5.44). Si je mets en œuvre la règle positive, je devrai me demander quelle attitude j'aimerais que mon ennemi adopte à mon endroit. Aimerais-je être aimé de lui, qu'il me pardonne, que cessent les hostilités ? C'est possible, et dans ce cas il me faut me mettre à l'aimer, à lui pardonner, etc. Mais il est aussi possible que, si j'avais tort à ses yeux tout comme il a grandement tort à mes yeux, je trouve juste qu'il me fasse cesser de nuire, qu'il me neutralise, voire me punisse pour ce que je lui ai fait. Tout dépend donc de mon interprétation de notre relation. Est-elle assez désespérée pour que la seule solution réside dans le pardon ? Ou n'est-elle pas suffisamment désespérée de sorte que la mise en œuvre de la rétribution ait encore son sens ? Dans un cas j'opte pour l'amour-pardon de mon ennemi, dans l'autre pour l'exercice de la justice. Je ne puis donc déduire directement de la règle d'or l'exigence d'aimer mon ennemi, à moins que vous estimiez que lui faire payer pour sa faute est une manière de l'aimer.

Si j'applique maintenant la forme négative de cette règle, je n'anéantirai pas mon ennemi parce que je n'aimerais pas qu'il m'anéantisse. C'est déjà mieux que rien quand on regarde ce qui se passe dans le monde ces temps-ci ! Mais qu'est-ce qui pourrait bien me pousser à aimer mon ennemi ? Je ne vois aucune raison qui puisse être fondée sur le règle d'or dans sa version négative. En effet, aimer son ennemi est une attitude positive contre nature alors que la règle négative m'interdit assez naturellement de ne produire que du négatif sous peine d'entrer dans un cercle de violence. Elle m'incite donc tout au plus à contenir la violence de mon ennemi à mon égard. Ici aussi, même si c'est pour des raisons différentes, la règle d'or positive et la règle d'or négative ne sont pas satisfaisantes : elles ne permettent pas de déduire à coup sûr le commandement d'amour de ses ennemis.

Ce que l'ambigüité de la règle nous enseigne

Il y a ainsi une ambiguïté qui est celle de la loi en général. Cette ambiguïté nous rappelle deux choses. La première, c'est que nous ne pouvons prétendre devenir justes ou donner un juste sens à notre vie en mettant la règle d'or ou quelque loi en pratique. En effet, on pourra toujours nous reprocher d'avoir choisi une mise en œuvre de la règle plutôt qu'une autre. On pourra nous reprocher d'avoir choisi la version positive plutôt que la négative ou vice versa. On pourra nous reprocher d'avoir défini égoïstement ce qu'est le bien que nous voulons faire à autrui. On pourra nous reprocher d'en avoir fait le minimum et pas tout ce qu'une interprétation plus exigeante m'aurait conduit à faire... Avec la loi, on en arrive toujours à un échec en matière de justice et de justesse de sa vie. Si l'on est en quête du juste sens de sa vie, il faudra le trouver ailleurs que dans la mise en œuvres d'une règle ou d'une loi. Peut-être est-ce du reste cet usage « théologique » de la loi que visait Jésus en exigeant de ses disciples qu'ils aiment même leurs ennemis...

Un autre enseignement de cette ambigüité

Le second enseignement de la règle d'or consiste à constater que, si toutes nos règles et lois sont ambigües, c'est que nous vivons dans un monde imparfait, avant-dernier, relatif, lui-même ambigu. Or ce monde imparfait, précisément parce qu'il est imparfait, a besoin de règles et de lois pour ne pas devenir un enfer ou un désert. Et en la matière, on n'a guère inventé de règle plus parfaite que la règle d'or dans l'une et l'autre de ses versions, malgré leurs limites ! A condition de ne pas vouloir faire de leur mise en pratique ce qui donne de la valeur à ma vie, il est impératif - que je sois chrétien ou ne le sois pas - de mettre en œuvre la règle d'or dans ses exigences les plus grandes possibles.

La libération évangélique

Mais qu'apporte l'évangile face à cette ambiguïté des règles et des lois ? En quoi être chrétien et vivre de l'évangile change-t-il quelque chose face à cette règle reconnue de manière assez universelle ? L'évangile donne, lui, un sens à ma vie : servir Dieu et le prochain. Ce faisant il me libère de la volonté de donner de la valeur à ce que je suis par la mise en œuvres de règles ambigües. Il me libère pour que je puisse sensément, raisonnablement faire aux autres ce que j'aimerais qu'ils me fassent. Il me libère également du désespoir qui surgit quand la mise en œuvre des règles et des lois s'avère difficile, voire impossible et me révèle le caractère ambigu, radicalement imparfait, relatif du monde dans lequel je vis. Il me libère de ce désespoir de sorte que je n'aie pas envie de fuir ce monde dans quelque paradis nécessairement artificiel et, par là, générateur de malheur.

 

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