Après la tempête

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[pas de légende]

Après la tempête

Eric Geiser
1 octobre 2023
Ensemble, il est possible de faire face à toutes les difficultés. Une réflexion du pasteur de Sonceboz-Sombeval et ancien aumônier de l’hôpital de Bienne Eric Geiser, parue dans la Feuille d’avis du district de Courtelary, le vendredi 29 septembre.

Certaines et certains se souviennent du 26 décembre 1999. Vers midi, le vent battait les records et bien des arbres, des constructions aussi, n’y ont pas résisté. On a appelé cette tempête Lothar. Je me suis toujours demandé, qui avait l’audace de choisir ces noms. Lothar a détruit ma maison, ça fait penser à un homme qui me veut du mal, ça ne correspond pas vraiment à la réalité. Bref, cette tempête du 26 décembre 99 a fait bien des victimes en Europe.

Eux, ce couple d’octogénaires, ont failli y passer. Ils faisaient une promenade chaque jour, avaient bien vu que les conditions étaient extraordinaires, mais n’étaient pas du genre à rester dedans quand il pleut. Le danger, ils l’avaient sous-estimé. C’est elle qui a vu d’abord l’arbre tomber, elle crie et prend son mari par la manche pour courir. La distance de retard qu’il avait a fait la différence. Chez lui, les doigts des deux mains ne suffisaient pas pour compter les fractures, chez elle, on pouvait le faire avec ceux d’une main. Il est resté dans le coma plusieurs semaines. Elle voulait le voir tous les jours. Je l’accompagnais aux sois intensifs dans sa chaise roulante, j’allais la chercher le soir, elle me parlait beaucoup de leur vie commune.

Leur rencontre datait de la fin de la grande guerre. Jeune fille elle arrivait en Suisse après des mois de fuite, de souffrances et d’horreurs. Leur village a été détruit, pas une maison restée entière. Elle en gardait d’ailleurs ces assauts d’inquiétude dans les moments les plus inappropriés qu’il savait, lui, si bien calmer. Ils rigolaient quand ils en parlaient. Elle arrivait donc avec sa mère et sa sœur. Son père et son frère étaient morts au combat. Pour distraire ces pauvres gens et bien les recevoir, un repas est organisé. On mange, on danse et le jeune homme est bénévole dans l’équipe d’organisation. Ils dansent, s’approchent timidement, s’aiment. La situation est compliquée. Elle ne sait pas si elle pourra rester ou si son périple va continuer. Elle est encore mineure. Ils n’ont pas de doute sur leur amour, mais sont assez réalistes pour savoir que dans la durée, rien n’est certain. Ils décident de se marier, avec toutes les embûches que cela représente, trouvent un appartement et concluent un pacte : « Si ça ne devait pas marcher, on se sépare dans la bonne entente ».

Ils ont vécu pendant plus de soixante ans dans le même appartement, sauf les six mois d’hospitalisation après la tempête, bien entendu. Il leur a fallu beaucoup de patience et de courage, mais ils étaient une bonne équipe et je garde un souvenir émouvant du jour, où ils ont retrouvé ce logement au troisième étage sans ascenseur, armés de leurs béquilles. Tout le monde leur avait dit pendant des mois que cela serait impossible.

Rallié à un réalisme en bonne santé, l’amour n’a pas fini de nous étonner.