Le polar aurait-il remplacé la Bible?

Marc Voltenauer vient de publier son troisième roman, "L'aigle de sang" (Ed. Slatkine) / DR / Benjamin Amiguet
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Marc Voltenauer vient de publier son troisième roman, "L'aigle de sang" (Ed. Slatkine)
DR / Benjamin Amiguet

Le polar aurait-il remplacé la Bible?

L’écrivain Marc Voltenauer était l’invité de Connaissance C3, l’université vaudoise des seniors, jeudi 11 avril, pour présenter les liens intimes entre littérature policière et texte biblique. Explications.

«Jamais je n’aurais pensé, quand j’ai commencé à écrire, que la théologie allait me rattraper aussitôt!» lâche Marc Voltenauer, un brin amusé, en amorce de la conférence qu’il donnait, jeudi 11 avril, dans le cadre du cycle de rencontres organisé par Connaissance C3. La nouvelle star du polar vaudois était alors conviée à discourir, devant une trentaine de seniors éclectiques, sur les liens étroits qu’il aime à interroger entre polar et texte biblique.

Il faut dire que l’écrivain, licencié en théologie, avait frappé les esprits (chrétiens ou non) en inscrivant son premier roman, «Le dragon du Muveran» (2015), dans un décor résolument protestant, entre un cadavre découvert dans un temple, un verset biblique planté dans le cœur, et une pasteure aux prises avec ses propres démons. Au-delà du cadre de cette première intrigue diffusée à plus de 50'000 exemplaires, Marc Voltenauer théorise  de manière plus générale de véritables correspondances entre Bible et polar, à commencer par la lutte sempiternelle entre le bien et le mal qui s’y déploie.

A la découverte de soi

«Le roman policier nous plonge au plus profond de l’âme humaine, dans cet endroit que Dieu seul connaît, dans cet intime, où l’on existe vraiment en tant que personne», explique le romancier. «Ainsi, lire un polar, c’est aussi aller soi-même à la découverte de sa propre part d’ombre.»

Pour Marc Voltenauer, il ne fait aucun doute que le succès jamais démenti de ce genre littéraire est directement lié à cette tension entre ténèbres et lumière, et plus particulièrement à notre attrait inavouable pour le mal. «Des chercheurs l’ont d’ailleurs démontré: les interactions négatives ont beaucoup plus d’impact sur nous : notre cerveau fonctionne comme du Velcro avec le mal, et du Teflon avec le bien.»

Le lien avec la Bible? «La Bible a en commun avec le polar l’injonction: «Tu ne tueras point.» C’est la transgression de ce commandement que le polar revisite à chaque fois», répond l’auteur qui se rêvait pasteur. Et de poursuivre: «En lieu et place du Jugement dernier, on a affaire à des enquêteurs, la justice divine étant remplacée par une justice humaine – ou encore par des personnes qui comme dans «Le dragon du Muveran» s’arrogent le droit non seulement de juger eux-mêmes, mais qui exécutent aussi la sentence...»

Un besoin de justice

Le roman policier répondrait ainsi à un besoin de justice viscéral ancré en nous. «Mais de quelle justice? La justice humaine ou divine?» soulève le romancier, qui se refuse à tout manichéisme dans ses écrits. «Je pense que nous avons en effet un besoin de justice, mais celui-ci est-il toujours moral?» Pas sûr, insinue l’auteur qui aime à brouiller les cartes et à confronter le lecteur à sa propre définition du bien et du mal in situ. Parce que dans la vie comme dans ses romans, rien n’est jamais si simple, affirme-t-il avec conviction: «C’est dans les nuances de gris que tout se joue, dans la complexité de l’âme humaine, formée tour à tour de lumière et de ténèbres.»

Moralité vs logique

Le polar ne serait-il pas pourtant moralisateur en soi, puisqu’il définit clairement les rôles entre «méchants» (criminels) et «gentils» (victimes et enquêteurs)? Et le goût des lecteurs pour ce genre littéraire ne reflèterait-il pas un certain besoin de moralité? «Au-delà de la moralité se pose à mon sens d’abord la question de la logique, parce qu’elle se fait en dehors de toute considération morale», pointe Marc Voltenauer. Et de préciser: «Ce qu’on aime avant tout dans le polar, c’est la logique derrière le mal. Si on peut admettre l’idée d’un polar où justice ne serait pas rendue à la fin, on ne peut pas concevoir de polar sans logique.»

C’est-à-dire? «Dans un polar, il y a une logique derrière le meurtre. Il est rarement gratuit. À qui la faute? Pourquoi? Comment? C’est finalement la question de l’origine du mal qui se pose à nouveau à chaque fois…» Comme si, faute de pouvoir définitivement répondre à cette question existentielle, on la reformulait sans fin…