Dieu se masque dans le visage humain

© Mathieu Paillard
i
© Mathieu Paillard

Dieu se masque dans le visage humain

DÉVOILEMENT
Se dissimuler le visage? Pour la foi chrétienne, c’est Dieu qui cache son visage. Et qui le révèle dans le Christ Jésus sous des traits humains. Lesquels reflètent le divin de façon voilée.

Nous nous prononçons, le 7 mars, sur une initiative visant à interdire aux personnes de se dissimuler le visage dans les lieux publics. Or le visage est un élément éminemment émotionnel: il révèle notre individualité et constitue à la fois la dernière barrière pour la protéger. C’est le lieu de la plus grande intimité que nous partageons avec les autres. «Le seul lieu dans le corps où l’âme ose se dénuder», écrivait la théologienne protestante France Quéré.

Cela explique la relative irrationalité du débat précédant la votation. Un débat que les initiants et les opposants doivent d’ailleurs mener les uns et les autres derrière un masque chirurgical. Lequel brouille nos rapports depuis un an déjà, semblant interdire toute immédiateté du dialogue interpersonnel… Ce qui ne facilite pas la transparence des échanges.

Ce désir de s’approcher du visage de l’autre pour entrer en relation directe avec lui est largement documenté dans la tradition chrétienne et déjà tout au long de la révélation biblique. Ainsi, le psalmiste implore-t-il Dieu, dont il ne peut apercevoir le visage: «C’est ta face, Seigneur, que je cherche: ne me cache pas ta face!» (Psaume 27,9).

Mais Dieu lui-même en a averti Moïse, dès la première alliance: «Tu ne peux pas voir ma face, car aucun humain ne saurait me voir et vivre» (Exode 33, 20). Le visage de Dieu est masqué pour celles et ceux qui le cherchent. Il ne peut pas même être représenté. Il doit demeurer secret!

C’est en Jésus que Dieu a manifesté son visage, c’est lui «l’image du Dieu invisible» (Colossiens 1, 15). Pour se montrer, Dieu porte les traits de notre visage humain. Il se donne à connaître à travers l’immédiateté que peut offrir la rencontre face à face, en «présentiel». Plus: il assume notre propre figure pour nous dire qui il est.

À notre tour, il nous est alors possible de discerner, dans le visage même de nos frères et soeurs en humanité, un reflet de la face de Dieu. Et parmi ceux qui nous côtoient, nous pouvons faire le récit, par notre vie humaine, du prodige de ce Dieu qui, tout en restant infiniment discret, se montre si proche qu’il prend en charge notre condition défigurée.

Oui, quel vertige! Par nos propres comportements, nous sommes appelés à réfléchir, de manière à la fois manifeste et voilée, la gloire du visage de Dieu. 

Nous cherchons le visage de Dieu. Voilé, il se reflète pourtant dans la création. Frère Pierre-Yves Emery, de Taizé, l’exprime dans ce beau texte destiné à la prière des moines et moniales.

Bien au-delà du jour qui passe,
Traversant heurs et malheurs,
Nos yeux cherchent un ailleurs:
Savent-ils ce qu’ils pourchassent?

Ni le visage de la terre,
Ni le ciel et ses humeurs
N’ont suffi à leur bonheur:
Qui pourrait les satisfaire?

À regarder les jeux du monde,
Semés d’ombre et de clarté,
Reconnais qu’une beauté
S’y dérobe, vagabonde.

O toi qui sacres l’existence,
Dieu de vie, nous te nommons;
En tout être, nous verrons
Un éclat de ta présence.
Hymne de frère Pierre-Yves Emery (©Commission francophone cistercienne)

L’auteur de cette page 

Matthias Wirz a été moine protestant dans la communauté monastique de Bose (Italie) durant 21 ans. Il collabore actuellement au mensuel Réformés et travaille à une thèse de doctorat en théologie à l’Université de Genève.

A écouter également

A voir également