Protestants hérissés par les indulgences du pape
14 avril 2000
Pierre Bühler est l'auteur d'un livre un rien provoquant, "Le protestantisme contre les indulgences
" Neuchâtelois, professeur de théologie à l'Université de Zurich, il se défend de vouloir raviver des débats confessionnels inutiles mais considère comme urgent un vrai débat entre catholiques et protestants sur l'essentiel de la foi chrétienne.À l'occasion de l'an 2000, le pape Jean-Paul II a choisi de marquer le jubilé du christianisme en solo par toutes sortes de démarches: purification de la mémoire avec demandes de pardon, création d'une nouvelle culture de la solidarité, pèlerinages. Au nombre de ces signes du Jubilé, une pratique hérisse particulièrement les protestants: les indulgences.
Cette pratique remonte à la Réforme au XVIe siècle. En 1517, le moine allemand Martin Luther édite ses 95 thèses. Il y dénonce le commerce des indulgences pratiqué par l'Eglise de son temps. Un commerce de "papiers-valeurs" qui, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, garantissaient aux acheteurs un accès direct au paradis.
"La pratique actuelle des indulgences n'a plus grand-chose à voir avec celle de l'époque. On n'achète plus la grâce de Dieu". Pour le théologien protestant, de nombreux aspects de cette "pratique médiévale" demeurent problématiques. Tout d'abord la conviction qu'un croyant pourrait influer sur l'au-delà. "Depuis le Moyen Age, explique Pierre Bühler, il est possible à un catholique d'acquérir des indulgences pour des proches défunts qui se trouveraient au purgatoire, l'anti-chambre du paradis". Cette acquisition permettrait d'accélérer le cheminement vers le paradis de personnes décédées.
Cette prérogative de l'Eglise de se poser en gestionnaire de l'au-delà apparaît au théologien protestant complètement étrangère au message chrétien. Pour lui, l'Eglise n'a aucun pouvoir sur les morts. Il lui importe de laisser les défunts s'en aller en paix!
§Se laisser pénétrer par la grâce de DieuAutre élément qui fait problème dans la pratique des indulgences: le fait d'accomplir des œuvres pour réparer des fautes commises. En foi protestante, la vie du croyant est d'abord marquée par une "réceptivité". Il s'agit d'un processus dans lequel le croyant se laisse pénétrer par la grâce de Dieu. Il y va avant tout de l'être de la personne. Du point de vue catholique on s'attache à un faire, qui interviendrait comme preuve par l'acte du changement opéré dans le cœur du croyant. Certains actes ne seraient alors accomplis non par pure gratuité mais toujours avec le secret espoir qu'ils rapportent quelque chose. "La foi protestante permet au croyant d'agir de manière tout à fait désintéressée, sans avoir le souci de ce que tel ou tel acte rapporte pour le salut", ajoute Pierre Bühler.
Ce débat sur le statut des bonnes actions en régime chrétien se déroule sur fond de divergences fondamentales dans la manière de percevoir la condition humaine. Pour la foi catholique, l'être humain demeure toujours capable du bien. En régime protestant, le propos est un peu plus complexe. Une sorte de pessimisme prévaut. Dans sa relation à Dieu, l'être humain ne peut rien avancer pour mériter la grâce. En fait, tout ce que l'être humain entreprend est constamment menacé du souci de se proclamer digne de Dieu. "Pour le protestant, le péché n'est pas d'abord une faute morale, explique Pierre Bühler, mais l'effort incessant de se justifier soi-même, de trouver en soi sa propre raison de vivre."
Pour Pierre Bühler, les festivités autour du Jubilé de l'an 2000 et le retour des indulgences marquent un pas en arrière dans les relations entre catholiques et protestants. "Peu d'efforts de concertation ont été entrepris pour marquer cet anniversaire de manière œcuménique. Après les accords entre luthériens et catholiques de l'automne dernier, nous aurions dû faire de l'an 2000 un jubilé de la justification par la foi", déplore-t-il, amer.
Pierre Bühler, Le protestantisme contre les indulgences, ed. Labor et Fides, 2000
Cette pratique remonte à la Réforme au XVIe siècle. En 1517, le moine allemand Martin Luther édite ses 95 thèses. Il y dénonce le commerce des indulgences pratiqué par l'Eglise de son temps. Un commerce de "papiers-valeurs" qui, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, garantissaient aux acheteurs un accès direct au paradis.
"La pratique actuelle des indulgences n'a plus grand-chose à voir avec celle de l'époque. On n'achète plus la grâce de Dieu". Pour le théologien protestant, de nombreux aspects de cette "pratique médiévale" demeurent problématiques. Tout d'abord la conviction qu'un croyant pourrait influer sur l'au-delà. "Depuis le Moyen Age, explique Pierre Bühler, il est possible à un catholique d'acquérir des indulgences pour des proches défunts qui se trouveraient au purgatoire, l'anti-chambre du paradis". Cette acquisition permettrait d'accélérer le cheminement vers le paradis de personnes décédées.
Cette prérogative de l'Eglise de se poser en gestionnaire de l'au-delà apparaît au théologien protestant complètement étrangère au message chrétien. Pour lui, l'Eglise n'a aucun pouvoir sur les morts. Il lui importe de laisser les défunts s'en aller en paix!
§Se laisser pénétrer par la grâce de DieuAutre élément qui fait problème dans la pratique des indulgences: le fait d'accomplir des œuvres pour réparer des fautes commises. En foi protestante, la vie du croyant est d'abord marquée par une "réceptivité". Il s'agit d'un processus dans lequel le croyant se laisse pénétrer par la grâce de Dieu. Il y va avant tout de l'être de la personne. Du point de vue catholique on s'attache à un faire, qui interviendrait comme preuve par l'acte du changement opéré dans le cœur du croyant. Certains actes ne seraient alors accomplis non par pure gratuité mais toujours avec le secret espoir qu'ils rapportent quelque chose. "La foi protestante permet au croyant d'agir de manière tout à fait désintéressée, sans avoir le souci de ce que tel ou tel acte rapporte pour le salut", ajoute Pierre Bühler.
Ce débat sur le statut des bonnes actions en régime chrétien se déroule sur fond de divergences fondamentales dans la manière de percevoir la condition humaine. Pour la foi catholique, l'être humain demeure toujours capable du bien. En régime protestant, le propos est un peu plus complexe. Une sorte de pessimisme prévaut. Dans sa relation à Dieu, l'être humain ne peut rien avancer pour mériter la grâce. En fait, tout ce que l'être humain entreprend est constamment menacé du souci de se proclamer digne de Dieu. "Pour le protestant, le péché n'est pas d'abord une faute morale, explique Pierre Bühler, mais l'effort incessant de se justifier soi-même, de trouver en soi sa propre raison de vivre."
Pour Pierre Bühler, les festivités autour du Jubilé de l'an 2000 et le retour des indulgences marquent un pas en arrière dans les relations entre catholiques et protestants. "Peu d'efforts de concertation ont été entrepris pour marquer cet anniversaire de manière œcuménique. Après les accords entre luthériens et catholiques de l'automne dernier, nous aurions dû faire de l'an 2000 un jubilé de la justification par la foi", déplore-t-il, amer.
Pierre Bühler, Le protestantisme contre les indulgences, ed. Labor et Fides, 2000