Moyen-Orient: «La réaction africaine est mesurée et prudente»

Un enfant d'Afrique du Sud, maquillé avec le drapeau de la Palestine. Cape Town, 2014. / Keystone
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Un enfant d'Afrique du Sud, maquillé avec le drapeau de la Palestine. Cape Town, 2014.
Keystone

Moyen-Orient: «La réaction africaine est mesurée et prudente»

Salomon Albert Ntap (Yaoundé)
27 octobre 2023
Face à l’attaque du Hamas et la guerre actuelle entre Israël et Gaza, de nombreux pays africains sont restés silencieux. Décryptage avec Franck Ebogo, directeur du Laboratoire d'analyses des dynamiques internationales et géopolitiques à l’Université de Yaoundé.

Le 7 octobre, quelques heures après le début de l'offensive du Hamas contre Israël, le président de la Commission de l'Union africaine Moussa Faki Mahamat réagissait. Dans un communiqué officiel, il invitait les deux forces en présence «à revenir, sans conditions préalables, à la table des négociations pour mettre en œuvre le principe de deux Etats vivant côte à côte». Depuis, plus rien, si ce n’est quelques réactions à demi-mots exprimant la prudence comme l’absence de concorde des pays africains face au conflit actuel entre Israël et le Hamas. En cause, selon le directeur du Laboratoire d'analyses des dynamiques internationales à l'Université de Yaoundé II au Cameroun Franck Ebogo, les intérêts divergents de ces Etats. Explications.

Comment qualifieriez-vous la réaction des pays africains au sujet de la crise actuelle entre le Hamas et Israël?

Je parlerais d’une réaction mesurée et prudente dans la mesure où officiellement l'Union africaine (UA) n'a pas pris position par rapport à ce qui se joue actuellement au niveau de la bande de Gaza. Je crois que l’UA, fidèle à sa politique qui consiste à se prononcer très peu sur des cas qui ne concernent pas directement l'Afrique, préfère attendre de voir l'évolution la situation ainsi que ses éventuelles implications sur le continent avant de prendre une position officielle. Contrairement à l'Union européenne, l’UA n'a pas de politique commune.

Qu’en est-il du côté des pays africains? Certains d’entre eux ont-ils exprimé leur solidarité envers Israël après l'attaque du Hamas?

Les réactions sont très diverses. La République démocratique du Congo, le Togo et l'Ouganda ont choisi d'exprimer un soutien net à Israël, à l’instar du Cameroun, qui a adressé ses condoléances au chef de l'Etat hébreu. Pour leur part, l’Afrique du Sud et l'Algérie ont apporté leur soutien à la Palestine. D’autres encore, comme le Sénégal ou le Kenya, ont demandé l'arrêt du conflit, renvoyant dos-à-dos Israël et le Hamas et appelant au respect du droit international.

Certains pays, comme le Cameroun ou le Rwanda, ont traîné avant de se prononcer. La question fait-elle peur aux régimes africains?

Contrairement aux pays du Maghreb (à l’exception du Maroc), plusieurs pays du continent africain ont établi des rapports de coopération avec Israël. Je ne parlerais donc pas de peur, mais plutôt de prudence.

De quelle nature sont ces rapports?

Sur le plan formel et juridique, il y a des accords de coopération entre Israël et la quasi-totalité des Etats africains. Il convient cependant de préciser que, durant les années 1970-1980, l'Organisation de l'unité africaine (actuelle UA) avait une proximité avec la cause palestinienne puisque les Etats africains avaient, eux aussi, connu la colonisation. Il y avait donc une espèce de sympathie pour la cause palestinienne. Mais la realpolitik a pris le dessus à partir des années 1990, et beaucoup d'Etats qui étaient jusqu'ici derrière la Palestine ont basculé du côté d’Israël.

Comment cela s’est-il manifesté concrètement?

Depuis lors, plusieurs États africains ont établi des rapports de coopération avec l'Etat hébreu, particulièrement dans le domaine sécuritaire. Le Cameroun, par exemple, entretient des relations en matière sécuritaire avec Israël. C'est Israël qui forme une partie de son unité d'élite dénommée bataillon d’intervention rapide (BIR). L'Afrique du Sud a aussi des relations diplomatiques avec Israël. Au final, ce sont près de 46 États africains (sur 55, ndlr.) qui ont alors établi ou renoué des relations diplomatiques avec Israël.

Y aurait-il, au sein des opinions africaines qui ont connu la colonisation, une forme d’apathie qui expliquerait la tiédeur de ces réactions officielles?

Je ne crois pas qu'il y ait une certaine apathie, il y a plutôt des réactions en Afrique par rapport à ce qui se passe actuellement en Palestine. Dans l'espace du Maghreb, on a enregistré des manifestations en Tunisie, en Algérie également. La République sud-africaine a épousé la cause palestinienne et la rue a également réagi à Pretoria. L’Afrique du Sud, ayant connu l'apartheid, est très solidaire à l’endroit de ce qui se passe actuellement avec la colonisation israélienne dans le territoire de Gaza. Les autorités sud-africaines ont saisi l'occasion de condamner, une fois de plus, la politique d'occupation de la Palestine exercée par Israël.

On note, quand même, qu'il n'y a pas de consensus parmi les réactions africaines. Qu'est-ce qui explique ce contraste?

Ce contraste n’est pas propre aux pays africains, et c'est normal qu'il y ait des prises de positions qui diffèrent d'un pays à l'autre car ce sont bien les intérêts propres de chaque Etat qui sous-tendent leurs actions sur la scène internationale. De fait, les pays n'ayant pas les mêmes intérêts ne peuvent pas avoir la même posture. La majorité des pays maghrébins ont condamné et jugé disproportionnée la réaction d'Israël en Palestine, l'Afrique du Sud a dénoncé l'occupation israélienne de la Palestine et d'autres, comme le Cameroun, ont préféré, par précaution, se limiter à la condamnation des actes de massacre perpétrés par le Hamas.

Comment les réactions occidentales, en Europe et aux Etats-Unis, sont-elles perçues dans les pays africains?

Cette perception peut être appréciée sur deux niveaux. A l’échelon des Etats, en raison notamment de ces questions d’intérêts, l’Afrique adhère à la position des Occidentaux, qui est fondamentalement conforme au droit international. Aucun pays dans le monde ne peut cautionner ce massacre à grande échelle. Du côté des citoyens, la sensibilité est différente: globalement les opinions africaines sont favorables à la cause palestinienne. Cependant elles comprennent que, par souci de la realpolitik, les Etats-Unis et l’Europe sont obligés de se mettre derrière Israël.