Noémie Emery: «Beaucoup de mes convictions trouvent leur source sur Twitter»

Noémie Emery / © ARC / Jean-Bernard Sieber
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Noémie Emery
© ARC / Jean-Bernard Sieber

Noémie Emery: «Beaucoup de mes convictions trouvent leur source sur Twitter»

Numérique
Les réseaux sociaux font partie de nos vies, même quand on est ministre. Rencontre avec une pasteure geek aux publications tantôt militantes, tantôt émouvantes.

«Sur Twitter, je suis une personne qui s’avère être pasteure, je ne suis pas ‹la› pasteure», résume Noémie Emery. La pasteure geek de Cossonay (VD) vit ainsi le réseau social comme une soupape lui permettant d’exprimer ses convictions politiques ou féministes. «Je vis les questions liées à l’inclusivité des personnes LGBT+, l’accueil des migrants ou la défense des travailleuses du sexe, par exemple, comme des conséquences directes de ma compréhension de l’Evangile. Jésus lui-même a toujours tendu la main à celles et ceux qui étaient aux marges de la société. Mais je sais que ce sont des questions qui peuvent toucher certaines sensibilités. Je n’ai pas à balancer frontalement mes convictions au culte à des gens qui ne sont pas préparés. Sur Twitter, par contre, si les gens ne sont pas d’accord, ils peuvent arrêter de me suivre ou venir en discuter. Mais c’est vrai que je chemine sur cette question. J’essaie donc d’amener quand même les questions d’orientation affective dans la prière d’intercession ou de parler de Dieu comme père et mère.»

Jésus lui-même a toujours tendu la main à celles et ceux qui étaient aux marges de la société.

«Je suis pasteure – ça fait maintenant partie de mon identité – et la pasteure que je suis, c’est moi! Voilà pourquoi, sur les réseaux sociaux, je n’ai pas un compte privé et un compte ‹de ministre›, comme certains de mes collègues. Personnellement, j’aurais trop de peine à gérer les deux… et en fait je n’en vois pas l’intérêt: les réseaux sociaux, ça fait partie de moi, et cela se répercute donc sur mon pastorat. Mes convictions en tant que pasteure, mon rapport à l’Eglise, tout cela ne s’éteint pas une fois que je suis à la maison.» Les publications sur Twitter de Noémie Emery sont donc aussi variées qu’est la vie de la jeune maman: pop culture et jeux vidéo alternent avec prises de position féministes et moments de bonheur en famille. «Mon usage des réseaux sociaux reste malgré tout assez spontané: ça me fait plaisir de partager certaines prises de position ou certaines histoires qui relèvent de mon vécu. C’est comme mon journal intime public», note la pasteure.

Une spontanéité qui sait garder certaines limites: «Je suis très touchée par la cause des travailleuses du sexe. D’ailleurs, aujourd’hui, pour la séance photo, j’ai un peu hésité à porter un t-shirt que j’ai acheté pour soutenir une association active sur cette thématique – mais je me limite un petit peu, parce que je ne sais pas comment cela peut être perçu. J’ai donc pris un t-shirt de l’Antenne inclusive Saint-Guillaume à Strasbourg. Même si ce que je publie sur les réseaux sociaux me concerne de manière privée, je n’oublie pas que cela concerne aussi mon lien à la hiérarchie, à l’institution, voire à mes paroissiens.»

Lieu de formation

Si elle admet une certaine superficialité dans ses publications, Noémie Emery choisit ce qu’elle lit sur les réseaux avec sérieux. «C’est sûr que Twitter me construit aussi. Je cible les gens que je suis, je fais régulièrement un peu de tri: je garde les comptes qui m’apportent et j’enlève ceux qui ne participent qu’à une forme de bruit de fond.» Elle ajoute: «Les réseaux sociaux permettent de rendre visibles des causes qui ne sont pas forcément celles des Eglises: LGBT+, personnes précaires, handicap, etc. Des choses à propos desquelles je m’éduque aussi grâce aux réseaux sociaux. Beaucoup de mes convictions militantes viennent de là… Comme je sais que je vais être lue par des gens de l’institution, ça me fait aussi plaisir de les partager.»

De quoi faire prendre conscience de certaines thématiques au milieu ecclésial? «J’espère avoir un petit rayonnement, ne serait-ce que sur les personnes qui me sont proches… Mais le risque avec les réseaux sociaux, c’est d’être dans une boucle où l’on est en lien uniquement avec des groupes ou des personnes avec qui l’on est d’accord.»

Depuis le rachat de l’entreprise Twitter par le richissime Elon Musk, de nombreux annonceurs et utilisateurs fuient ce réseau social. Ses prises de position ont paradoxalement amené à des discussions jusque-là inédites sur les enjeux éthiques et démocratiques des réseaux sociaux. «Je ne me suis pas encore posé la question d’abandonner Twitter au profit, par exemple, de Mastodon», reconnaît Noémie Emery. «Peut-être que ça viendra. Mais, en fait, j’ai beau être une utilisatrice assez fréquente de Twitter et Instagram, je ne suis pas ‹à la page› dans ce domaine. Par exemple, TikTok, je n’y ai jamais mis les pieds!»

Sur Twitter

«Fraternité, fraternité… Un mot apparemment essentiel au christianisme. Mais… je ne suis ton frère que si je peux t’appeler ma sœur.» (27 décembre 2022)

«Parfois, on fait la vaisselle en s’époumonant sur du Céline Dion, l’homme à côté qui écoute distraitement, l’enfant qui dort, et le bonheur est là.» (3 janvier 2023)

«Être pasteure, c’est passer du bonheur de jouer au bowling avec des paroissien·nes au dépit de lire un bouquin de théol’ de 2021 qui écrit ‹homme› pour dire ‹humain›.» (8 décembre 2022)

Suivez-la sur Twitter: @EmeryNomie1

Jeux vidéo

«Je ne suis pas moi-même joueuse, mais j’aime beaucoup l’univers du jeu vidéo. Souvent, quand je travaille, je mets des diffusions de parties sur internet en fond sonore. Il y a beaucoup de choses qui m’intéressent dans le gaming. Parler de religion à travers le prisme de la pop culture me passionne. Je suis d’ailleurs bénévole à l’Open Source Church (la paroisse geek).»

Noémie Emery y voit une piste pour le futur de l’Eglise: «Aujourd’hui, les gens bougent pour leurs loisirs. Les sociétés locales – les paroisses en font partie – ont de plus en plus de peine à intéresser les jeunes, les enfants, les jeunes adultes, parce que ce n’est plus automatique de mettre ses enfants aux activités du village: ils vont faire du théâtre à Lausanne, du sport à Cheseaux… Avec Open Source Church, on réunit des gens autour d’un intérêt commun, d’un langage commun.»