Sexologue et théologienne, elle s’adonne à l’accueil

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Sexologue et théologienne, elle s’adonne à l’accueil

24 octobre 2023
REJANE MARTI
Thérapeute et sexologue clinicienne, cette Pulliérane, théologienne de formation, a pris les rênes de l’aumônerie de rue de Chavannes-près-Renens.

Son sourire la précède. Postée à l’entrée de son nouveau lieu de travail, où elle sévit depuis un peu plus d’un mois, Réjane Marti a l’accueil facile et chaleureux. «Je suis quelqu’un qui rit tout le temps. Peut-être un peu trop!» nous avouera-t-elle rapidement, les yeux emplis de malice.

Théologienne de formation et tout juste quinquagénaire, Réjane Marti semble plus que reconnaissante d’avoir décroché son tout premier job en lien avec ses études. Désormais «animatrice d’Eglise» responsable de L’Ancre, lieu de solidarités de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV) situé à Chavannes-Près-Renens, cette Pulliérane semble être la personne toute trouvée pour continuer à faire vivre cette aumônerie de rue. «On m’a surtout choisie pour mon expérience en tant que thérapeute», relève celle qui, trois jours par semaine, offre de son attention et un repas (contre trois francs symboliques) à une petite vingtaine de personnes marginalisées, toxicomanes, sans-abri ou simplement esseulées.

Thérapeute et théologienne, donc? Les deux fonctions sont liées dans l’histoire de Réjane Marti, fille d’une prof d’économie familiale et d’un typographe lausannois. «Une fois mon master de théologie en poche, je me suis mise à célébrer des bénédictions de mariage. D’abord pour des amis, puis pour d’autres personnes», jusqu’au jour où, interpellée par un couple «trop dysfonctionnel pour espérer un avenir», elle décide de se former comme thérapeute de couples. «Cela correspond complètement à ce que je crois être notre but sur terre. En l’occurrence, chercher à toujours être une meilleure version de soi-même! Et c’est particulièrement intéressant au sein de ce laboratoire qu’est la relation amoureuse.»

Alors âgée de 28 ans, Réjane Marti est emballée par les possibilités qu’est capable de lui offrir l’approche Imago, une méthode de thérapie relationnelle développée dès les années 80 par un docteur en psychologie et théologie et une militante féministe américains. «Mettre de la sécurité au milieu des êtres humains que l’on rencontre, c’est formidable», s’émerveille-t-elle. Mais «qui dit couple dit sexualité», et Réjane Marti ne s’arrête pas là. Deux formations universitaires en sexologie clinique viennent compléter son cursus pour le moins atypique. A l’aube de ses 30 ans, la voilà bientôt à la tête de son propre cabinet de thérapie pour couples.

Le cap des 50 ans

«C’est la première fois, avec ce poste au sein de l’EERV, que je ne suis pas ma propre patronne!» s’amuse Réjane Marti. Et si elle reçoit toujours quelques couples le reste de la semaine, son nouveau 70% auprès de personnes en rupture sociale ne représente finalement pour elle qu’une nouvelle façon d’être utile aux autres. «Ce changement de cap est fortement lié au fait que j’ai eu 50 ans, et que c’était un peu le dernier moment pour un nouveau défi professionnel», ajoute-t-elle, enjouée.

Aujourd’hui, même si «aucun suivi thérapeutique n’est possible» avec les bénéficiaires de L’Ancre, Réjane Marti sait que l’écoute qu’elle peut leur manifester compte déjà beaucoup. «Nous sommes en train de nous apprivoiser et d’établir un vrai lien», se réjouit-elle, en mentionnant rapidement le reste de son staff. Il y a son collègue Claudio Recabarren, qui assure la responsabilité du lieu un jour par semaine, ainsi que Paul Zidouemba, un autre animateur engagé par l’association de soutien du lieu, une cuisinière et chaque jour un nouveau bénévole, selon un tournus bien huilé.  

Et puis il y a la diacre Sylvie Keuffer, dont Réjane Marti a repris la place début septembre, et avec laquelle elle opère encore actuellement un tuilage. La ministre a d’ailleurs des mots plus que sympathiques à l’égard de sa successeuse: «Je ne connais pas Réjane depuis longtemps, mais c’est comme si cela faisait dix ans. Son accessibilité et sa chaleur la rendent tout à fait adéquate.»

Irène Scacamouche

Toutefois, Réjane Marti n’a pas attendu L’Ancre pour pratiquer l’accueil à grande échelle. Dans son jardin de Pully, où elle vit avec son mari Marc et ses trois enfants, âgés de 17 à 22 ans, elle a pris l’habitude de recevoir amis et connaissances à deux occasions bien précises, où l’on atteint parfois la centaine d’invités. «A Noël et à Halloween, où je me transforme en un personnage de sorcière que j’ai inventé pour l’occasion: Irène Scacamouche», s’amuse-t-elle.

«Réjane manifeste tellement d’amour aux autres qu’elle provoque toujours la bonne ambiance», relève Aude Roy-Michel, sa cousine. Cette pasteure et coordinatrice régionale à l’EERV, avec qui Réjane Marti avoue adorer «faire la toque», n’est pas étonnée que sa complice ait «tant d’amis»: «Même son langage non-verbal relève de l’accueil.»

C’est toutefois en mots, très tendres, que Réjane Marti évoque encore Mehdi, un jeune Afghan de 18 ans qu’elle et sa famille ont recueilli en 2022, par l’intermédiaire du projet Actions-Parrainages. «Il est parti à pied de chez lui et sait qu’il n’y retournera jamais», confie la thérapeute, qui se félicite de sa totale intégration au sein de son foyer pulliéran. «Cela a certes provoqué quelques infimes jalousies de la part de mes enfants, mais aujourd’hui, ils considèrent Mehdi comme leur frère», raconte-t-elle avec émotion. Le jeune homme, qui vient de commencer un apprentissage d’informaticien, parle désormais le français sans peine. «Ultra-résilient», il vient d’ailleurs de demander à Réjane Marti s’il pouvait l’appeler «Maman» dans sa langue maternelle, le dari.

Enfin, nous proposant encore une visite de L’Ancre de la cave au grenier, l’animatrice d’Eglise en profite pour nous montrer une petite salle lumineuse située en face de la toute petite cuisine, où un livre recueille «les noms des personnes auxquelles nos bénéficiaires souhaitent penser lors de petits temps de prière». L’occasion, pour Réjane Marti, de nous quitter en partageant quelques mots sincères sur sa propre foi: «J’ai toujours eu la foi, même si les années ont apporté quelques nuances... Et si au fond c’est toujours cette foi qui m’anime aujourd’hui auprès de ces personnes qui manquent de tout, Dieu n’a pas besoin d’être nommé pour être là dans nos échanges».

1973 Naissance à Lausanne, le 2 juillet.

1989 Après sa confirmation dans l’Eglise réformée, elle devient catéchète et le restera plus de 20 ans.

1998 Se marie avec Marc Marti, qu’elle rencontre alors qu’il fait HEC Lausanne.

2001 Obient son master en théologie à l’Université de Lausanne et sa certification en thérapie Imago. Naissance de son premier fils, Esteban. Suivront Noé en 2004 et Isaline en 2006.

2003 Obtient son certificat de sexocorporelle, qu’elle complètera en 2011 avec un diplôme de sexologie clinique.

2014 Son mari est envoyé dans le Michigan. Elle y vit un an avec toute sa famille.

2022 Accueil de Mehdi, jeune Afghan de 16 ans.

2023 Devient animatrice d’Eglise responsable de L’Ancre.