Maintenir la vie, là où rôde la mort

En septembre 2022, dans la région de Mikolaïv, proche du front, Galina (en vert) participe à la distribution de kits d’hygiène de l’EPER. / Andràs D. Hajdù / EPER
i
En septembre 2022, dans la région de Mikolaïv, proche du front, Galina (en vert) participe à la distribution de kits d’hygiène de l’EPER.
Andràs D. Hajdù / EPER

Maintenir la vie, là où rôde la mort

Drame
A proximité immédiate des 1000 kilomètres de front du conflit russo-ukrainien, des habitants n’ont pas pu ou voulu partir. Et certains reviennent. L’EPER soutient ces populations, un défi logistique et humain qui a coûté des vies à l’ONG.

Mise à jour

Dans un communiqué daté du 20 février, l'EPER annonce avoir «temporairement suspendu ses activités dans les zones difficiles d’accès», mais elle «poursuit son travail humanitaire dans d’autres régions». L’ONG précise également que «les gouvernements français et ukrainien ont ouvert une enquête pour crimes de guerre.»

Aller vite, ne pas sortir des zones prévues, ne pas se faire repérer pour «ne pas devenir une cible»: c’est ainsi que travaillent les équipes de l’Entraide protestante (EPER) sur la ligne de front côté ukrainien. Basées à Mykolaïv, Dnipro, Kherson et Sloviansk, elles livrent au quotidien briquettes de chauffage, kits de nourriture, eau potable, sacs de couchage…

Le 1er février dernier, au retour d’une distribution à Beryslav, au bord du Dniepr, deux collaborateurs de l’EPER, Guennadi Guermanovitch et Adrien Baudon de Mony-Pajol, tous deux de nationalité française, ont été tués au cours d’une «attaque brutale que rien ne justifie», a condamné l’ONG. Quatre autres, trois Français et un Ukrainien, blessés, sont désormais sains et saufs. Guennadi Guermanovitch était le chef de la sécurité de l’EPER en Ukraine, une personne clé pour ces missions à haut risque.

Car les distributions de l’EPER ont lieu dans la «zone rouge», située entre zéro et quinze kilomètres de la ligne de front. Ici, l’imprévu est la règle et la sécurité demande une organisation millimétrée: «On sort toujours après validation de notre équipe de sécurité, en communication permanente, avec deux véhicules, pour que l’un puisse porter assistance à l’autre, si besoin, et avec des équipes bien plus nombreuses, pour permettre une distribution très rapide et limiter le temps sur le terrain», explique Veronica Cazacu, responsable du desk Ukraine pour l’EPER.

Cible volontaire?

Selon le quotidien français Le Monde, les véhicules de l’ONG ont été ciblés par des drones russes, alors même «qu’il était marqué d’une grande croix rouge sur le toit», signe de leur travail humanitaire. Et ce, en représailles contre la France. Dans un contexte de guerre informationnelle, les médias russes ont présenté les victimes comme des «mercenaires français». Une information infirmée par L’EPER, qui attend cependant les résultats de deux enquêtes en cours, lancées par l’Ukraine et la France, pour «clarifier les circonstances de l’attaque», précise l’ONG.

Pour l’EPER, cette épreuve est inédite. D’habitude, elle n’intervient pas au milieu d’affrontement armé. C’est en mars 2022 que ce projet d’intervention dans les zones les plus reculées et inaccessibles du conflit a été initié, après une évaluation des besoins. «Nous construisons à partir de notre expertise des zones de conflit, acquise lors de notre présence au Congo», indique Veronica Cazacu. Sur place, l’équipe, composée d’une quinzaine d’humanitaires expatriés et chevronnés et d’une soixantaine de volontaires et contractuels locaux, doit suivre des protocoles extrêmement rigoureux.

Le but de l’opération est de répondre aux besoins de base de personnes restées en terrain de guerre. «Parmi elles, 80 ou 85% sont des personnes âgées, alitées, incapables de se déplacer, ou en charge de parents malades», poursuit la responsable de projet. Elles ne peuvent ou ne veulent quitter leur maison, parfois par crainte des pillages. S’y ajoutent «des personnes évacuées qui font parfois aussi le choix de revenir», parce qu’elles n’ont plus d’économies et s’imaginent pouvoir survivre dans leur maison, «en cultivant un lopin de terre et en élevant quelques poules». Ce qui les attend sur place est difficile. «Les maisons sont considérablement détruites. La plupart du temps, plusieurs habitants se regroupent dans une pièce unique ou une cave.» Les frappes sont fréquentes.

L’EPER distribue des kits de réparation d’urgence, «juste de quoi couvrir les ouvertures laissées béantes dans les fenêtres détruites, pour essayer de construire un espace chaud pour l’hiver». Un peu plus loin, dans la seconde partie de la «zone rouge», à 15 ou 30 kilomètres du front, l’ONG intervient aussi pour couvrir les besoins quotidiens. Un travail aujourd’hui interrompu, en raison du choc de l’attaque. Et interrogé. «Si l’enquête prouve que nous sommes une cible, cela pourrait remettre en question notre manière de travailler», reconnaît l’ONG.

Sur le site web de l'EPER
En savoir plus et soutenir ce projet