Croix sur la Transjurane : gigantisme contesté

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Croix sur la Transjurane : gigantisme contesté

10 janvier 2002
Un épi blanc de quinze mètres surmonté d’une croix : c’est l’œuvre d’art qu’une association privée envisage de construire aux abords de la nouvelle autoroute qui traversera le Jura
Le projet suscite la polémique. L’idée d’une croix, ses dimensions, son prix agitent les esprits. Les Eglises catholiques et réformées, qui ont financé une partie des études préparatoires, peinent à cacher un malaise grandissant et s’interrogent sur le sens d’une entreprise aussi monumentale.En 1991, l’idée est lancée d’ériger une croix aux abords de la nouvelle autoroute A16, dite Transjurane. Objectif des initiateurs : ériger un signe rassembleur des diverses familles chrétiennes. Depuis que le projet a été rendu public, la polémique enfle en terre jurassienne. Les lettres de lecteurs se succèdent dans la presse locale. La grandeur et le prix de l’œuvre suscitent des commentaires parfois virulents. « Nous souhaitons montrer que ce pays s’inscrit historiquement dans la foi chrétienne, mais dans un esprit d’ouverture et de dialogue, assure Jean-Marie Mahon, président de l’association « Signe chrétien Transjurane ». Nous avons de la peine à comprendre certaines réactions. En tout cas, nous ne voulons pas imposer quoi que ce soit. » Avant d’entrer dans l’aventure, son association avait pourtant pris la précaution d’ouvrir le débat : « Nous avons reçu une centaine de réactions et 80% des réponses étaient positives, voilà pourquoi nous avons poursuivi nos travaux », explique Jean-Marie Mahon.

Au départ, les autorités paroissiales catholiques, mais aussi réformées étaient spontanément montées dans la barque. Elles ont déjà financé une part des études de faisabilité. Pour ménager la sensibilité protestante, le projet a même été corrigé : on prévoit aujourd’hui la construction d'une « œuvre d'art » plutôt que d'une simple croix. En 1996, des particuliers offrent gratuitement un emplacement sur la commune de Courfaivre et l'artiste jurassien Camillo crée bénévolement la maquette d’une sculpture qu’il s’engage à réaliser sans cachet. Malgré ces dons significatifs, le devis du monument s’élève à quelque 250'000 francs. Les permis de construire ont été délivrés et une campagne de souscription est lancée depuis décembre.

§Les Eglises se dérobentConfrontées à l’ampleur du monument envisagé, les Eglises, tant catholiques que réformées, ont du mal à cacher leur malaise. « Nous ne remettons pas en question l’idée de base qui nous a tout de suite semblée bonne, explique Jean-Pierre Farron, président du Conseil de l’Eglise réformée jurassienne. Mais le projet concret nous semble démesuré. Son gigantisme nous dérange. Voilà pourquoi nous renonçons à le soutenir financièrement.» Même son de cloche du côté catholique : « C’est une initiative privée à laquelle chacun est libre de souscrire personnellement. Il n’est d’ailleurs pas exclu que certaines paroisses s’engagent. Mais l’Eglise catholique ne soutient pas le projet officiellement », annonce Yves Prongué, prêtre à Tavannes et membre du Conseil du vicariat. « D’ailleurs dans le Jura bernois, l’idée ne suscite pas beaucoup d’intérêt. Actuellement, nous préférons nous engager dans le cadre d’Open.02, le projet des Eglises autour d’Expo.02. »

Ce manque de soutien officiel risque-t-il de mettre en cause le projet ? « Nous n’avons pas encore sollicité les paroisses, précise Jean-Marie Mahon. Pour l’instant la souscription s’adresse aux particuliers et nous prévoyons de contacter les PME. Mais les travaux de construction ne débuteront que si le financement est assuré. Dans le cas contraire, les dons déjà reçus seront affectés à une œuvre d’entraide. »

§Projet d’un autre temps ?Au delà du prix et de la grandeur du projet, c’est son sens même qui est discuté. La forme classique de l’œuvre et son inspiration très marquée par la tradition chrétienne éclipsent les idéaux de dialogue et d’ouverture proclamés par les initiateurs. Philippe Kneubühler, pasteur et président de l’exécutif régional des Eglises réformées Berne-Jura, confirme qu’aucune demande de soutien n’est parvenue aux autorités ecclésiales protestantes. Il estime néanmoins que le projet aurait peu de chance d’être soutenu : « La tradition protestante n’a pas pour habitude de faire état de ses convictions par des constructions inscrites dans le paysage. On peut se demander si les abords d’une autoroute constituent le meilleur endroit pour témoigner de sa foi. » Alors que la coutume d’ériger des croix est plus fréquente en pays catholique, l’abbé Prongué reconnaît que « ce n’est plus tellement dans l’air du temps. Il y a comme une gène, y compris chez les prêtres, à soutenir ce genre de signes le long des axes routiers. »

Pour les responsables du projet, la réflexion doit être élargie. « Le souci des pauvres n’est pas seulement une question d’argent, se défend Jean-Marie Mahon. Ceux qui offrirons de l’argent pour la croix de la Transjurane donnent probablement déjà pour les plus déshérités. Et les problèmes du monde ne se résolvent pas seulement avec de l’argent. L’œuvre de Camillo est plus intrigante qu’une simple croix. N’y voyez aucune agressivité ni provocation. C’est une interrogation plus globale que nous souhaitons susciter. En ce sens, une partie de l’objectif est déjà atteint ! »