Couples islamo-chrétiens : s’écouter pour se comprendre

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Couples islamo-chrétiens : s’écouter pour se comprendre

1 février 2002
Un pasteur vaudois et un Tunisien musulman tentent d’aider les amoureux issus de ces deux traditions culturelles et religieuses aux contrastes parfois importants
Des préparations de mariage un peu particulières, placées sous le signe du respect de la différence. Une tentative, aussi, de dépasser les fortes réticences des deux communautés. Le défi semble insurmontable. Pourtant, en terre musulmane comme en Europe, les couples islamo-chrétiens existent. Martin Burkhard est pasteur à l’Isle et animateur du dialogue interreligieux et interconfessionnel au sein de l’Eglise réformée vaudoise. Musulman d’origine tunisienne, Sélim Ben Younès anime chaque vendredi une prière à l’intention des étudiants de l’école polytechnique fédérale de Lausanne. Ensemble, ils ont créé un lieu de partage, d’écoute et de conseil pour ces amoureux qui tentent de dépasser les réserves et les interdits.

Contrairement à une idée reçue, si une musulmane n’unira son destin qu’avec un homme de la même religion, l’islam sunnite (largement majoritaire) permet à l’homme d’épouser une femme pratiquant une autre religion du Livre, christianisme ou judaïsme. « L’autorisation existe de manière explicite dans le Coran. Il faut simplement qu’il existe un respect réciproque », précise Sélim Ben Younès. Voilà qui n’empêchera pas la plupart des centres islamiques de dissuader l’éventuel prétendant. « Ce sera davantage pour des raisons culturelles qu’en raison de motifs religieux », estime-t-il. De son côté, Martin Burkhard raconte qu’il connaît aussi des ministres réformés qui refusent de célébrer pareille union.

§Nombreux abandonsCes réticences, doublées parfois de l’hostilité de la famille, auront fréquemment raison des sentiments naissants. « Je me souviens d’un cas. L’un des pères venait des Balkans ; l’autre était un catholique italien. Ils sont devenus amis à force de s’opposer à l’union de leurs enfants », raconte le pasteur. Et puis il y a le regard de la communauté, particulièrement important dans l’islam, même si comme le souligne Sélim Ben Younès, « les liens n’y sont pas aussi resserrés en Europe. »

Face à ces difficultés bien réelles, mais aussi face à la complexité des questions en jeu, le but de deux conseillers de l’Arzilier ne saurait être de favoriser ces unions. « Nous tentons simplement de répondre aux interrogations, de soulever avec les gens qui viennent nous voir, différents aspects de la vie conjugale. »

L’épouse de Sélim Ben Younès, Suissesse, a ainsi tenu une longue conversation avec une maman valaisanne dont la fille allait épouser un Français musulman. « Elle s’inquiétait de la manière dont elle serait traitée par son beau fils. A la fin de son téléphone, je crois qu’elle était rassurée. » Le cas échéant, ils n’hésitent pas à faire part de leur désaccord, comme pour cette Suissesse qui avait éprouvé un coup de foudre pour un Musulman lors de vacances. Marié, père de cinq enfants, le prétendant lui proposait de l’épouser sans pour autant divorcer de sa première femme. Sélim Ben Younès : « Elle ne savait pas si elle devait accepter. Je lui ai rappelé que son pays d’origine interdisait à cet homme la bigamie. Et que l’islam ne permet pas de négliger sa progéniture. »

§Se parler, s’interroger avantComment fonctionner à deux lorsqu’une religion interdit la consommation d’alcool, édicte des exigences en matière de vêtements, de temps de prière, de jeûne ? Comment, tout simplement, concilier deux traditions très différentes ? Une Suissesse comprendra-t-elle que son mari rentre fréquemment à la maison avec des invités sans l’avoir avertie ? Un disciple d’Allah prendra-t-il du plaisir à aller chaque semaine au restaurant ou à partir pour une semaine de ski au lieu de la consacrer à rentrer dans sa famille ? Et pour la cérémonie, que faire si le futur conjoint refuse d’entrer dans une église ? Et puis il y a les enfants. Dans un pays à majorité islamique, une chrétienne sait qu’un musulman a le devoir de les élever dans sa religion.

On l’aura compris : pour le Suisse comme pour le Tunisien, les obstacles aux mariages islamo-chrétiens sont avant tout d’ordre culturels. « En Suisse, plus d’un tiers des unions se soldent par un divorce. Le mariage est de toute manière un défi et un engagement difficile, note Martin Burkhard. Etre issu de deux cultures différentes pose simplement d’autres obstacles supplémentaire et exige donc une prise de conscience de leur réalité. Pourtant, une foi vécue en profondeur chez chacun, peut être source d’enrichissement réciproque. »