La porte vers la grande aventure de l’Ouest

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La porte vers la grande aventure de l’Ouest

22 avril 2013
Berlin (epd - ProtestInter) Comme plus de 1,3 million d’autres réfugiés de RDA, le politicien CDU Frank Henkel est passé, à l’âge de 17 ans, par la «porte de la liberté» – où il s’est préparé à sa nouvelle vie: nouvelle carte d’identité, assurance maladie, recherche d’un logement.

«À gauche deux lits superposés, à droite deux lits superposés, et au milieu une table carrée.» Trente ans après l’ouverture du camp d’accueil d’urgence de Marienfelde, dans la banlieue sud de Berlin, la vie était encore très spartiate, se souvient Frank Henkel, aujourd’hui membre de l’autorité exécutive de la ville (Sénat) en charge du Département de l’Intérieur.

Lors d’une cérémonie à laquelle participait le président de la République Joachim Gauck, les Berlinois ont célébré le 60e anniversaire de l’ouverture du camp, le 14 avril 1953. Les immeubles d’habitation – quinze au début – constituaient «une véritable petite ville», comme on pouvait le lire dans la presse de Berlin-Ouest de l’époque, qui avait surnommé le camp «le chantier des difficultés»: ce n’est qu’après deux ans de disputes entre le gouvernement fédéral et le Land sur des questions financières que le président de la RFA de l’époque, Theodor Heuss, put enfin déclarer le camp ouvert.

La mise en place d’un camp d’accueil d’urgence central était d’une extrême nécessité. Depuis la fermeture de la frontière intérieure allemande par les autorités de RDA, toujours plus de réfugiés à Berlin s’arrangeaient pour utiliser le métro, qui n’était pas encore zone interdite. Dans la seule année 1952, près de 120 000 citoyens et citoyennes de RDA gagnèrent la partie occidentale de la ville.

Pourtant, le camp était installé à titre provisoire – «dans la ferme conviction que la lutte pour la liberté et l’unité de tous les Allemands allait être définitivement gagnée» – comme l’indiquait le document accompagnant la pose de la première pierre. Mais 37 ans devaient encore s’écouler jusqu’à ce que ce vœu se réalise: des décennies durant lesquelles Marienfelde marqua le destin d’un grand nombre de réfugiés.

Entre douleur et espoir

«Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il a été douloureux de partir loin de la maison», écrivait par exemple un père à ses enfants, dans une lettre non datée conservée sur le site commémoratif actuel du camp d’accueil d’urgence. À Marienfelde, la tristesse d’avoir quitté le pays était toujours très proche de l’espérance d’un nouveau départ. Mais, pour Frank Henkel et d’autres, ces sentiments se mêlaient aussi à l’impatience de tenter la grande aventure de l’Ouest.

Dans cette perspective, Madame Z., de Stralsund, traîna en 1956 sa lourde machine à coudre de 16 kilos, plus sa mère et ses deux enfants, jusqu’à Marienfelde et dans plusieurs autres camps de transit. Il lui fallut deux ans pour trouver enfin refuge à Hambourg, où la machine à coudre devait encore rendre de bons et loyaux services dans sa nouvelle vie. Le flot des réfugiés gonflait depuis les années 1950, alors que la répression étatique en RDA augmentait, que les paysans étaient soumis à la collectivisation forcée et que les antennes de télévision orientées vers l’Ouest étaient systématiquement retournées.

Surpopulation

Le camp d’accueil d’urgence, conçu au départ pour 2000 personnes, fut confronté à une surpopulation totale. En 1958, le responsable de l’aumônerie de l’Église évangélique d’Allemagne auprès des réfugiés à Berlin, Gustav Ahme, lançait un cri d’alarme à l’adresse des autorités de l’Église: «Le dimanche de Pâques, j’ai vu à Marienfelde des centaines de réfugiés nouvellement arrivés qui faisaient la queue.»

En revanche, après la construction du mur en 1961, le camp demeura souvent à moitié vide. Ce n’est qu’en 1989, année de la Révolution, qu’on dut à nouveau installer des lits de secours dans la salle à manger. Jusqu’à la Saint-Sylvestre, 51 000 personnes arrivèrent à Marienfelde en provenance de RDA.

Le camp a toujours été «un sismographe de l’évolution politique en RDA», indique Axel Klausmeier, directeur de la Fondation du Mur de Berlin à laquelle appartient le site commémoratif actuel. Pour le régime du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne), c’était naturellement un «objet ennemi» dont la vie quotidienne devait être espionnée en permanence.

Des écriteaux, dans le camp placé sous surveillance, mettaient en garde les nouveaux arrivants contre les mouchards, et il était interdit de prendre des photos. Mais les services secrets alliés et ouest-allemands n’étaient pas non plus inactifs et examinaient, dans le cadre de la procédure d’accueil d’urgence en douze points, toute personne qui voulait passer à l’Ouest.

Crainte de l'afflux de réfugiés économiques

En 1950, le nombre des migrants refusés avait été supérieur à celui des acceptés, non par crainte de l’infiltration politique mais parce qu’on redoutait l’afflux de réfugiés économiques. Mais plus la Guerre froide devint manifestement implacable, plus on insista sur la solidarité étroite «avec les frères réduits en esclavage à l’Est», comme l’indiquait le document accompagnant la pose de la première pierre du camp en 1952.

Les requérants d’asile qui vivent aujourd’hui sur le site de Marienfelde savent mieux que personne à quel point la méfiance à l’égard des réfugiés dits économiques demeure virulente. Le camp, complet depuis des mois, accueille des gens venus de Tchétchénie, d’Irak, d’Afghanistan ou de Syrie – réduits en esclavage par les guerres civiles de ce monde. (FNA- 24)