Questionner toute atteinte à la vie

L'être humain fait partie de la création: c'est le grand apport d'Albert Schweitzer, penseur inclassable. Ici avec Parsifal, "son" pélican. / © Archives Centrales Albert Schweizer Gunsbach / E. Anderson
i
L'être humain fait partie de la création: c'est le grand apport d'Albert Schweitzer, penseur inclassable. Ici avec Parsifal, "son" pélican.
© Archives Centrales Albert Schweizer Gunsbach / E. Anderson

Questionner toute atteinte à la vie

Pensée
Albert Schweitzer, théologien protestant alsacien, figure marquante du XXe siècle, a développé le concept de «respect de la vie». Retour sur sa pensée avec Matthieu Arnold, professeur d'histoire à la faculté de théologie de Strasbourg.

Comment comprendre le concept de «respect de la vie» ?

C’est durant la Première Guerre mondiale qu’Albert Schweitzer développe son éthique du respect de la vie. Dans La civilisation et l’éthique, il repense les relations entre êtres humains et animaux. A l’époque, la théologie libérale soutient l’idée selon laquelle les progrès industriels accompagnent les progrès de la civilisation, y compris moraux. La Première Guerre mondiale constitue un tournant: on réalise que le progrès technologique n’est pas le progrès moral, une illusion que Schweitzer n’a jamais eue.

Il explique que toutes les vies sont solidaires: «Je suis vie qui veut vivre au milieu d’autres vies qui veulent vivre.» En substance, cela signifie que si vous exploitez la création, les torts que vous commettrez auront des conséquences. Selon lui, l’humain n’est pas au-dessus de la Création mais en fait partie, une conception très moderne.

Sa pensée, qui place toute vie sur le même plan, est-elle encore valable aujourd’hui ?

On a pu reprocher à Albert Schweitzer de ne pas établir d’emblée de hiérarchie entre hommes et animaux. Il n’en voulait pas sur le plan théorique. Il estimait qu’elle dispensait d’entreprendre une véritable réflexion, et donc de se comporter de manière responsable.

Il était aussi lucide sur les discours de son temps, qui associaient encore les personnes noires à l’animalité. Pour Schweitzer, le risque d’une hiérarchie était de la retrouver appliquée aux êtres humains. La Seconde Guerre mondiale lui a donné raison… Toutefois, dans la pratique, il savait qu’il fallait faire des choix. En tant que médecin, il savait qu’il fallait tuer des bactéries pour sauver des patients. Mais pour lui, toute atteinte à la vie était effroyable, et méritait de se poser la question de sa nécessité. Il prônait une éthique dynamique et non figée.

Finalement, il nous indique qu’il faut choisir le moindre mal…

Oui, un peu comme Dietrich Bonhoeffer (1906 – 1945, pasteur luthérien résistant au nazisme). Parfois, aucune des solutions dont nous disposons ne permet d’échapper à la culpabilité. C’est une éthique tragique mais qui ne doit pas empêcher d’agir. Albert Schweitzer avait fait des études de médecine, il savait qu’il fallait recourir à l’expérimentation animale. Quand on avait recours à cette pratique, il considérait qu’il fallait expier sa faute. De même pour la colonisation. (…) C’est un penseur très libre et indépendant.

Repères 

Albert Schweitzer. Médecin, pasteur, théologien, philosophe et musicien. Né en 1875 à Kaysersberg (Alsace, alors allemande). Il a obtenu le prix Nobel de la paix pour l’hôpital qu’il a fondé à Lambaréné (Gabon), où il est mort en 1965, et qui l’avait fait connaître dans le monde entier. 

Pour aller plus loin 

Ma vie, ma pensée. Albert Schweitzer. Une biographie accessible. 

Le respect de la vie. Albert Schweitzer. 

Un ouvrage plus centré sur la philosophie et l’éthique. 

Albert Schweitzer, la compassion et la raison. Matthieu Arnold. Pour comprendre les grandes intuitions et idées du plus philosophe des théologiens.